See other formats \\1 MRS S LA POULE AUX ŒUFS D'OR. ROMANS DU MEME AUTEUR! I no QrOMèMC . 1 vol. in -h Corps sans Ame 2 — Une Fleur A vendre 2 — Le Tentateur 1 — Lf Flagrant Délit 2 _ Les Parasites 2 — Les premières Rides 2 — Le BAtard. t 2 — Le Neveu d'un Lord 2 — La Rente viagère 2 — Le Banquier de Bristol. . • 2 — Quatre ans sous Terre — Lucie y 2 — L'honneur d'une Femme 2 — Le Château des Atrides 2 — L'Alcôve 2 — POÉSIE. Pervenches i vol. in-12 Macbeth Traduction littérale en oers- . . . i vol. in-18 ROMANS SOUS PRESSE. La Tireuse de Cartes 2 vol. in-8 Le Masque de Velours 2 — La Vipère 2 — Le Mari de la Cantatrice 2 — r Sceaux. — Impr. de E. Dupée, LA POULE AUX OEUFS D'OR PAR JULES LACROIX. Cal/us escam qucerenu margarit&m rrperil, PHÈDRE. PARIS, L. DE POTTER, LIBRAIRE-ÉDITEUR, Acquéreur du Cabinet de Lecture, collection des meilleurs romans modernes, 1500 volumes in-i 2. Prix 1000 franes. Rue Saint-Jacques, 38. 1844 % JHigir bm. J'aime la mélodie et ta verve saxonne ! — Ton souffle impétueux et fort comme le vent Qui fait bruire au soir les cloches d'un couvent, Ton souffle tombe et court dans l'orchestre qui sonne La contre-basse ronfle et sa corde frissonne, Et la trompette vibre, et l'orgue se mouvant S'anime pour chanter comme un être vivant ; Et ton âme bondit dans toute ma personne ! Sous la voûte profonde et noire qui répond, Comme l'eau s'engouffrant sous les arches d'un pont La ronde du sabbat tourbillonne grondante ! C'est le cri de Satan dans sa gorge de fer, C'est le rugissement des musiques d'enfer, Et la voix du Seigneur — C'est Michel-Ange et Dante ! T. I. 1 Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa I. LA CHAMBRE DU POETE. On était dans les premiers jours de janvier. Il faisait un froid très piquant; et, depuis quelques heures, une neige épaisse blanchis- sait le toit des maisons. L'obscurité commen- çait à se répandre dans les rues; et déjà les 8 la poi i y passants, moins nombreux, doublaient le pas en baissant la léte et s'enveloppant dans leurs manleaux pour échapper à la bise glaciale et aux flocons de neige fouettés par le vent. Un jeune homme , d'une mise fort simple , mais élégante, venait de sortir d'un couloir obscur fermé par une porte à claire-voie. C'é- tait vers le milieu de la rue Mazarine. Personne alors, que ce jeune homme , ne passait dans la rue; aucun bruit de voilure; le silence était profond. Le jeune homme fît quelques pas vers le guichet de l'Institut; mais, tout-à-cc^n, s'arrètant dans sa marche, il parut hésiter un instant. Il regardait tour à tour le ciel chargé de bruine et le pavé tout recouvert d'un vaste tapis de neige , sur lequel s'amortissait le bruit des pas. — Voyons, murmura -t-ii, il faut prendre une décision pourtant... Que ferai-je? Et, semblant réfléchir profondément , il al- AUX OEUFS D'oïl. 9 lait et venait, sans presque changer de place. — Si j'étais raisonnable, reprit-il, je ren- trerais chez moi le travail presse , et ma pau- vre tête n'a pas besoin de distractions!.. Ah! mon Dieu , que je suis donc faible! quel mal- heur de n'avoir pas plus de volonté ! Et il continuait à piétiner sur place, tout en murmurant quelques paroles indistinctes. Enfin , il parut prendre une résolution su- bite, et rebroussa chemin à la hâte. Il rentra dans l'allée sombre, et monta précipitamment un escalier noir et vermoulu, qu'une person- ne, habituée à cette rude échelle, pouvait seule grimper sans péril. 11 tira de la poche de son paletot une grosse clé, qu'il mit dans le trou d'une serrure, à tâtons. La chambre dans la- quelle il pénétra était plongée dans une obs- curité profonde. Le jeune homme, après avoir cherché longtemps au hasard sur les meubles et sur le marbre du poêle, prît une petite fiole 10 l'Ot 11 de phosphore et alluma sa chandelle. C'était une assez pauvre habitation que celle de ce jeune homme deux petites chambres en mansarde, à peine meublées, et carrelées toutes deux chose triste et froide à l'œil mê- me en hiver. Les murs étaient garnis d'un pa- pier commun à grosses fleurs rouges ; quel- ques chaises de paille, dont la plupart étaient boiteuses, dissimulaient à grandpeine la nu- dité des murailles, à l'angle desquelles on pou- vait distinguer quelques toiles d'araignée pou- dreuses qui se balançaient au moindre vent. Pas de rideaux au lit ; pas de rideaux aux fenê- tres, rien qu^un large morceau d'étoffe brune qui laissait voir une partie des vitres. Ce qu'il y avait de plus remarquable et de plus luxueux dans ce modeste appartement , c'était une grande bibliothèque d'acajou , toute garnie de livres , dont quelques-uns même of- fraient de riches reliures Une grande table AUX ŒUFS D'OU. 11 ronde, en bois blanc noirci , occupait le centre de la moins petite de ces deux pièces. Celte table était chargée de plumes et de paperasses; de livres tout ouverts et maintenus dans cette position par une foule d'objets bizarres et pas- sablement hétéroclites c'étaient des frag- ments de bûches , des pieds et des mains de plâtre, une soucoupe, enfin tout ce que le Propriétaire avait rencontré tout d'abord sous sa main. Quand son flambeau fut allumé, le jeune homme s'assit vivement devant sa table; et, plongeant sa tête dans ses detix mains, les yeux invariablement fixés sur un vieux livre aux coins déchiquetés et vermoulus, il prit F attitude d'un homme qui médite et qui pense avant de travailler. II LA MORT DE SOCKATE. Mais, avant de poursuivre, quelques mots sont indispensables pour faire connaître ce jeune homme. Né d'une famille honnête, mais pauvre, il se nommait Gustave Valory. Ses parents habitaient une petite ferme siluéedans 14 LA roi li le dé par tentent du Puy-de-Dôme, à quelque distance de Cler mon t-Ferrand. Gustave, quoi- que fort instruit, avait fait ses études en pro- vince; de bonne heure il avait montré un goût invincible pour la poésie et la littérature; cha- cune de ses années scolaires avait été pour lui un triomphe les prix remportés dans ses classes formaient la majeure partie de sa bi- bliothèque. D'abord, les parents de Gustave, braves gens sans orgueil et sans ambition, destinaient à leur fds un avenir paisible et obscur. Comme ils avaient toujours été heu- reux dans leur médiocrité, ils ne souhaitaient pas une autre existence que la leur pour Gus- tave. Mais ils ne pouvaient savoir , les bons et honnêtes fermiers , tout ce qui bouillonnait d'immenses désirs et d'émulation dans le cœur du jeune lauréat, chaque fois qu'il s'élançait, victorieux, de banquette en banquette, jusqu'à la pompeuse estrade où le proviseur du collège AUX OEUFS D'OR. 15 lui mettait de ses propres mains une couronne de laurier sur la tête! Enfin, Gustave, toujours récompensé, toujours vainqueur, avait ter- miné ses éludes classiques; et , sorti du col- lège, il était venu vivre auprès de son père et de sa mère dans leur petite ferme. Quelques mois se passèrent. M. Valory n'avait point en- core parlé à son fils de prendre un état. Gus- tave, laborieux et toujours livré à l'étude, ne quittait pas sa chambre; et, du matin au soir, quelquefois du soir au matin, il travaillait courbé sur ses vieux livres, sur ses auteurs chéris. Bien souvent, la mère de ce jeune hom- me, bonne femme simpleel naïve, dont la seule passion était l'amour qu'elle portait à son fils; bien souvent, dis— je , cette excellente mère avait supplié Gustave de travailler avec moins d'acharnement; il se tuait, disait-elle; il dé- périssait à vue d'œil... et le soir, quand tous les membres de la famille s'étaient retirés , 16 i \ i-oi 1 1 chacun dans leur chambre, Madame Valory montait l'escalier avec précaution; et, se diri- geant sur la pointe du pied vers la chambre de son fils, elle appliquait l'oreille au trou delà serrure; elle regardait avec anxiété par les l'entes de la porte, afin devoir si la lumière de Gustave viendrait à s'éteindre. Lorsque, à minuit, le flambeau brûlait encore , elle se ris- quait à frapper légèrement contre la porte; puis, d'une voixdouce et tremblante, elle sup- pliait Gustave de ne pas veiller davantage et de se mettre au lit. Alors, Gustave, réveillé comme en sursaut dans sa rêverie poétique, tressaillait avec impatience, et conjurait sa bonne vieille mère de ne pas s'occuper de lui; mais celle-ci, insistant avec une craintive et douce sollicitude, lui disait — Cher enfant, je t'en prie, couche-loi... fais ce petit sacrifice à ta mère... Gustave, attendri, n'avait plus la force de AUX ŒUFS D'OR. 17 résister; il laissait tomber sa plume , fermait ses livres; et, courant vers la porte, il embras- sait sa mère avec une profonde et douloureuse émotion. — Merci, merci, cher enfant! disait la bonne femme dans un élan de reconnaissance; au moins, tu vas prendre une bonne nuit de repos. — Oh! ma mère, répondait Gustave, les larmes aux yeux, je te cède, tu vois... mais, prends-y garde, tu me feras mou- rir! L'excellente femme ne comprenait pas ces paroles exaltées et fébriles ; elle couvrait en- core son fils de baisers et de caresses ; puis , radieuse et la joie au cœur , elle s'éloignait en pensant qu'au moins Gustave ne se fatigue- rait point cette nuit-là, et qu'au déjeuner du lendemain, il n'arriverait pas triste, souffrant et, pâle. 18 LA POULE A peine seul, Gustave, ressaisi par le démon poétique, se repentait presque d'avoir cédé aux sollicitations de sa mère; il s'avouait trop fai- ble, et rouvrait tout-à-eoup ses livres d'unemain convulsive pour se livrer de nouveau à l'étude. Mais alors son inspiration n'était plus la mê- me; ses idées, troubles et confuses, ne pou- vaient pas vaincre la tristesse et la préoccupa- tion qui venaient de l'assaillir c'est qu'invo- lontairement il songeait à sa mère, à la pro- messe qu'il avait faite tout à l'heure, et il se reprochait d'y manquerai se reprochait com- me un crime sa désobéissance et son obstina- tion. Gustave, dont le cœur était droit et loyal, avait en horreur tout ce qui ressemblait à la ruse, au mensonge; il se couchait donc à la hâte et soufflait sa lumière pour ne pas succom- ber à la tentation de lire. Mais à peine avait-il posé sa tête sur l'oreiller, que son imagination fermentait plus active, plus ardente ; le son> AUX OEUFS D'OR. 19 meil ne voulait pas venir; Gustave l'appelait en vain, et se tordait souvent jusqu'à l'aube dans une fiévreuse insomnie, dans un demi- sommeil plein de rêves et de cauchemars, plus fatigant encore que l'insomnie elle-même. Bientôt M. Valory, qui commençait à res- sentir les fatigues de l'âge et du travail, voulut confier les soins de sa ferme et de l'exploita- tion agricole à son fils Gustave. Mais celui-ci, qui n'avait jamais aimé l'agriculture que dans les Géorgiques de Virgile et dans Columel- le, témoigna si peu d'enthousiasme à cette proposition , que le bon fermier demeura frap- pédesurprise. M. Valory, qui était bien loin de s'attendre à un refus, s'expliqua d'une façon plus claire et vanta, non sans hyperbo- le, les délices de la vie campagnarde; mais, après un court entretien, il comprit toute la vérité, et désespéra devoir jamais Gustave ma- nier la herse et la charrue. 20 là l'OULE — Mon pauvre ami, dif le bonhomme avec tristesse , que veux-tu donc faire? Quel étal choisis-tu ? Gustave répondit avec une extrême défé- rence, mais avec fermeté, qu'il ne voulait pas vivre en province, ou du moins à la campagne ses goûts et ses études l'appelaient à un autre emploi qu'à celui de laboureur; et la plume, l'encre et les livres lui convenaient beaucoup mieux que les instruments aratoires. — Ah! jeune ambitieux, s'écria M. Va- lory d'une voix triste, avec une douloureuse et sublime naïveté tu veux être clerc d'huis- sier ou de notaire! tu veux te lancer dans les grandeurs. — Non, mon père, non , soyez tranquille, dit Gustave en souriant , je n'aspire point si haut... Une élude de notaire ou d'huissier m'arrangerait encore bien moins que votre ferme... Je veux être libre et indépendant; je AUX OEUFS h on. 21 veux mener une \ie laborieuse et artiste je veux écrire ! — Tu veux écrire, mon pauvre Gustave? Eh bien ! je te le demande, où peut-on écrire si ce n'est chez les notaires et chez les avoués? Je ne te comprends plus du tout!.. — Cher père, tu vas me comprendre. J'ai fait de bonnes études ; j'aime le travail intel- lectuel par dessus toutes choses; et tout ce qu'il me faut pour mon bonheur, à moi, c'est un rayon de soleil, un livre, une plume... Le fermier tout ébahi tombait de surprise en surprise. — J'entends bien, mon pauvre Gustave... mais ces trois choses-là, ton soleil, ta plume et tes livres, ça ne constitue pas un état, une position sociale... Gustave prit en souriant la main de son pè- re, qu'il pressa contre ses lèvres avec effu- sion. t. i. 2 22 I A poule — Sois tranquille, mon bon père; il me faut si peu de chose à moi pour vivre! Je ne manquerai jamais de rien .. — Mais encore faut-il un moyen quelconque pour gagner de l'argent. Tu as fait de belles études, c'est vrai ; mais tout cela, pauvre en- fant , ça coûte, et ça ne rapporte rien que des livres, des prix et des couronnes. . . Je te le de- mande un peu, comment veux-tu vivre, si tu ne consens pas à me remplacer, à faire valoir ce morceau de terre? Moi, je me fais vieux... ta mère aussi... et, si tu nous refuses ton ai- de , nous allons être forcés de prendre quel- qu'un, un mercenaire, pour conduire la ferme et diriger les travaux. Je ne suis pas riche, vois-tu ; j'ai tout juste de quoi joindre les deux bouts en usant d'une stricte économie; et si je venais à mourir aujourd'hui pour demain, tu resterais seul avec ta pauvre vieille mère, qui ne pourrait pas te servir à grand'chose... Atrx oeufs d'or. 23 c'est toi plutôt, mon ami, qui devrais songera la nourrir. Alors, que deviendrïez-vous? — Encore une fois, mon père, répondit Gus- tave avec attendrissement, ne te mets pas en peine; j 'ai des ressources qui me sont propres, et que tu ne peux connaître... Oui, continua- t-il en s'animant par degré, je sens que j'ai de l'avenir! Il y a quelque chose en moi qui m'illumine et qui me pousse en avant!.. Je réussirai, mon père; j'aurai la gloire et la for- tune ! Pour vous l'argent , à moi la gloire I . . A cette délirante explosion, M. Valory crut sérieusement que son fils était fou. Il joignit les mains; et, levant les yeux au ciel, il conjura Gustave de parler raison, et de ne pas rire dans une circonstance aussi sérieuse. — Eh bien! mon père, je m'expliquerai... Peut-être allez-vous dire encore de plus belle que j'ai perdu la tête et que je m'égare en des rêves de maniaque... Mais, n'importe! j'ai 24 I A »>Ol I 1 pour moi h conscience, le travail el linco chez un aca* 9 démicien qui élâtt venu passer quelques jours à Clermont. Celte lecture ne fut pas moins brillante que la première, mais elle eut bien plus d'impor- tance et de solennité, L'académicien prit Gus- tave en affection, et se déclara son protec- teur. Un mois après cette poétique ovation, Gus- tave logeait à Paris dans une petite chambre voisine de l'Institut. La mort de Socrate, pré- sentée à la Comédie française, n'avait pas même obtenu lecture, et le secrétariat l'avait ren- voyée outrageusement au poète de Clermont, qui, fasciné depuis longtemps par ses beaux rêves de gloire, tomba pour ainsi dire du ciel en terre, et faillit mourirdedouleur. Mais cet igno- ble et injuste refus ne rencontra partout que le blâme et l'indignation. Gustave, secondé par quelques amis chauds et dévoués, ne tarda pas AUX oeufs d'or. 35 à prendre une éclatante revanche. Sa pièce fut écoutée avec enthousiasme dans plusieurs salons soit admiration profonde et sincère, soit engouement bizarre, inexplicable, Paris lui même confirma le suffrage de la province et cria au chef-d'œuvre. Deux ou trois direc- teurs de spectacle se hâtèrent soudain de fon- dre chez l'auteur comme des oiseaux de proie on lui fit des offres splendides; et Gustave, qui tténfyhtaït encore de ne faire qu'un songe, donna bien vite sa tragédie nu premier qui se présenta, sans imposer la moindre con- dition. Le soir même les rôles étaient distribués. Le théâtre qui, avant ce coup de fortune, n'a- vait plus qu'à fermer ses portes, les rouvrit toutes grandes pour livrer passage à la foule immense qui encombrait les vestibules, le jour de la première représentation. Le succès fut éblouissant et mérité la salle tout entière 34 LA POULE éclata en frénétiques bravos ; des couronnes furent jetées sur la scène. Ainsi , du premier pas, le jeune et obscur provincial venaitde con- quérir une position sublime; il était déjà pres- que illustre, et son avenir littéraire semblait devoir être une longue suite de triomphes et dechefs-d'œuvre. Gustave n'eut point, comme tant d'autres , le vertige au milieu de la victoire il se remit au travail avec plus de courage et d'ardeur ; et répondant, presque toujours par des refus doux et polis, aux mille invitations de tout genre qui venaient le chercher sans cesse, il commença le premier chant d'un poème épi- que, dont il roulait le plan dans sa tête depuis plusieurs années. Le succès de Gustave lui avait rapporté beaucoup d'argent ; mais il continua de vivre dans la même simplicité, comme un étudiant du quartier latin. Lestrois quarts de la somme qu'il perçut de ses droits aux oeufs d'or; 55 d'auteur, furent envoyés à ses parents, qui faillirent perdre la tète à force de joie. Il y avait six mois que Gustave occupait k Paris la même petite chambre; son unique plaisir était d'aller passer sa soirée au specta- cle; mais, chose étrange, il n'avait point encore mis les pieds à l'Opéra. Un jour, il s'y laissa entraîner par un de ses amis, et tout le coeur de ce jeune homme ardent et impétueux, toute son imagination de poète fut boulever- sée Le soir, quand il rentra dans son obscure mansarde , il n'était plus le même homme. Une autre passion, plus impérieuse encore et plus dévorante que la poésie, venait de s'em- parer de Gustave; une passion profonde et inextinguible, qui devait influer sur toute sa carrière, sur tout le reste de son existence. m. A L'OPERA! Ainsi donc Gustave Valory, après une assez longue hésitation , était retourné dans sa chambre. Depuis une demi heure à peu près, il semblait travailler avec plus de suite et d'ac- tivité; mais soudain il jette vivement sa plume et se lève en se frappant le front. t. i. 3 .18 i A POULE — Non, c'est impossible ! dit-il UVCC impa- tience, en arpentant sa chambre à grands pas J'ai beau aire, je ne puis retrouver le fil de mes idées... Vraiment je suis absurde... Ah! Et, continuant sa promenade agitée, il croi- sait tantôt les bras sur sa poitrine, et tantôt se prenait la tête à deux mains comme pour se recueillir. Mais le trouble était dans sa pensée ; son cœur battait avec une force inouie ; le sang bourdonnait à ses oreilles. — Malheureux insensé! reprit-il avec une dou- loureuse amertume ; quoi ! je ne puis donc vaincrece délire! Je ne puis donc m'arracherdu cœurcetle image et ce nomqui me brûlent !... Ah! c'est de la folie!.. Que m'en reviendra-t-il? Je ne serai pour elleei pour le monde qu'un objet de pitié, de raillerie! Et déjà mon ima- gination s'épuise, mon esprit se fatigue à vou- loir saisir un songe, une ombre qui toujours aux oeufs d'or. 39 m'échappe !... Maintenant le travail me pèse, la poésie est pour moi sans charme... Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi l'ai-je vue? pour- quoi n'ai-je pas fui cette dangereuse occasion! Il y a quelque temps encore j'étais libre et calme; je voulais vivre tout entier pour l'art et pour la gloire;je n'avais pas d'autre passion!... Malheureux ! malheureux ! Puis, retombant dans un morne silence, il demeura quelque temps immobile et de- bout, le front appuyé dans ses mains. — C'est plus fort que moi ! s'écrie— t— il. Non, je ne puis rester dans celte chambre, quand je sais qu'un si court espace me sépare d'elle!. .. J'irai, n'importe! Je veux la voir, encore aujourd'hui!... Demain, je serai plus sage*.. Oui, je travaillerai... je quitterai, s'il le faut,, Paris pour quelque temps. Peut-être alors, quand je serai moins près d'elle, peut- 40 I A IMM I I être la tranquillité rcnaitra-t-elle clans mon cœur ! Tout en parlant de la sorte, Gustave s'en- veloppait à la hâte de son paletot. 11 souffla sa lumière et sortit précipitamment. La neige tombait moins fort. Gustave cou- rut vers le quai et monta dans un cabriolet de place. — A TOpéra, dit-il au cocher. Et vite ! je suis fort en retard. La course fut rapide. Gustave franchit les marches du péristyle avec un frissonnement indéfinissable. Il entra dans la salle elle était pleine de monde. Partout de riches toilettes et les plus charmantes femmes de Paris. On donnait, ce jour-là, une reprise de Guillaume Tell, et Flora Duvercourt, la fameuse canta- trice, devait y chanter pour la première fois. Rien de plus joli, de plus gracieux, de plus adorable que celte jeune personne. Petite el AUX OEUFS D'OR. 41 svelte, elle avait de magnifiques cheveux noirs qui formaient un délicieux contraste avec son teint d'une blancheur éblouissante; ses grands yeux noirs, longs et veloutés, avaient une ex- pression tour à tour pleine d'enthousiasme et de mélancolie; ses dents, fines et brillantes, donnaient à son sourire jm éclat extraordi- naire, et sa jolie tête, admirablement posée sur un cou de cygne, avait de molles ondula- tions qui vous plongeaient dans une suave et profonde extase. Mais ce qu'il y avait de plus incomparable encore dans cette radieuse créa- ture, c'était sa voix douce, grave, harmo- nieuse et vibrante. On ne pouvait par mo- ments l'entendre sans avoir des larmes aux yeux; jamais une femme n'avait uni, à un timbre de voix plus enchanteur, une plus touchante expression, un art plus merveilleux et plus exquis. Lorsque Gustave enj^ra dans la salle, Flora VI i \ l'ouïr. chantait, et, de temps à autre, au milieu du silence, un frisson d'enthousiasme et de plai- sir circulait parmi la foule. Guslave était comme enchaîné à sa place l'œil fixe, le cou tendu, il respirait à peine, et sa main s'ap- puyait contre son cœur agité, comme pour le contenir dans sa poitrine. Oh! qui pourrait comprendre tout ce qui se passait alors dans l'esprit et dans Târne de cet ardent jeune homme! Il n'avait jamais vu, même dans ses rêves de poète, une plus céleste figure, quel- que chose de plus aérien, de plus angélique. Flora venait à peine de terminer lesdernières notes de sa brillante cavaline, qu'un tonnerre d'applaudissements éclatait par loute la salle j le parterre battait des mains et trépignait; les balcons et les loges applaudissaient en criant bravo ! C'était une délicieuse et pro- fonde admiration. Seul, peut-être dans cette grande foule, Gustave demeurait immobile et AUX oeufs n'oit. i3 muet c'est qu'il avait comme le vertige; il élait comme sous l'empire d'un songe, d'une hallucination magnétique. Tout-à-coup on lui frappa sur l'épaule; et, tiré brusquement de son délire extatique , Guslave tourna la tête. La personne qui ve- nait de l'éveiller ainsi était un homme d'une trentaine d'années a peu près; c'était lefashio- nable, le dandy parisien dans toute la force du terme. Grand et mince de taille, mis avec une élégante recherche , il avait une fi- gure noble et distinguée, mais pâle et mala- dive. — Eh bien, M. de Valory, dit le fashiona- ble, en serrant la main de Gustave, vous pa- raissez bien froid aujourd'hui? Qu'avez-vous donc? Est-ce que par hasard vous n'êtes pas content de Flora? Elle a pourtant chanté d'une façon divine. — Oh! oui, divine! répondit Gustave avec M pou i transport. Je ne crois pas qu'il soit possible d'avoir plus d'âme et plus d'expression! Chauler de la sorte, oli ! c'est du génie! — A la bonne heure ! je vous reconnais, \v, vous retrouve ! C'est qu'apparemment l'admi- ration vous avait paralysé... cela parfois ar- rive, mon cher monsieur. Gustave ne fil aucune réponse et parut même embarrassé. — Ah ça, dites donc? M. de Valory, reprit l'élégant jeune homme avec t un ion d'ai- mable familiarité, il faut pourtant que vous écriviez un poème pour Meyerbeer. J'ai parlé de vous l'autre jour au grand maestro, et il serait enchanté que vous lui fissiez un opéra. — C'est trop de bonté, monsieur le mar- quis, répondit Gustave, je vous remercie in- finiment. Mais, en vérité, je ne me crois guère capable d'entreprendre une pareille œuvre; je ne tais pas une note de musique AUX oeufs d'oh. 45 et j'aurais beaucoup de peine à faire un mau- vais opéra. — Eh! laissez-donc, mon cher monsieur, rien de plus facile. D'ailleurs vous avez fait vos preuves, et si je ne vous savais pas si mo- deste, je serais tenté de croire que vous vou- lez rire. — Non, en vérité, je vous parle très sérieu- sement. — Ce n'est pas possible. Qu'est-ce qu'un librello pour vous? Quand on a fait la mort de Socrate, c'est-à-dire la plus belle tragédie contemporaine, on aurait mauvaise grâce à reculer devant un opéra. D'ailleurs, vous pouvez m'en croire, il est absolument inutile de savoir une seule note de musique pour com- poser un poème. Mais je dois vous dire une chose, ce n'est pas seulement au célèbre com- positeur que j'ai promis votre collaboration... J'ai fait une autre promesse à laquelle, j'en suis 16 UA POULI bien sur, vous n'aurez pas le courage lie nu faire manquer. — Hue voulez-vous dire? monsieur le mar- quis, demanda Gustave avee surprise. Le marquis le Pons se mit à sourire, et garda un instant le silence. — Ainsi, vous ne comprenez pas, monsieur de Valory ? — Non, vraiment. — Tout à l'heure je vous dirai cela, re- prit le marquis, en lui faisant signe dese taire. L'enlr'acte venait de finir, le rideau se le- vait. Flora Duvercourt chanta plus admirable- ment encore ce fut un enthousiasme uni- versel, et, quand le rideau se baissa à la fin du dernier acte, de bruyantes acclamations demandèrent la sublime cantatrice. Jamais le théâtre de L'Opéra n'avait vu s'accomplir un si beau triomphe. aux oeufs o'on. 47 — M. de Valory , dit le marquis de Pons , en prenant le bras de Gustave , venez avec moi, je vous en prie , il faut que je vous présente à quelqu'un, dont vous serez en- chanté de faire la connaissance... — Mais il est bien tard... répondit Gustave qui, voulant travailler une partie de la nuit, élait peu disposé à suivre le marquis de Pons. Je vous prie de m'excuser... — Bah! bah! pas d'excuses., je ne vous lâche point... — C'est encore quelque souper , quelque folie ! pensait Gustave impatienté. — Allons, allons, mon cher poète, continua le marquis , en l'entraînant vers le vestibule, ne soyez donc pas d'une humeur si sauvage» Que diantre ! on ne peut pas toujours vivre seuj, même pour faire des chefs-d'œuvre; il faut bien un peu se dégourdir et prendre l'air du monde! Venez, venez!... Î8 IV POULE — Mais je ne puis, je vous assure... lin tra- vail impprtanl m'obligede retourner chez moi à l'instant même... Croyez-bien que je suis désolé, mais il m'est impossible... — Impossible! encore une fois, c'est une plaisanterie ? Vcnez-donc... Comme vous êtes opiniâtre! Vous mériteriez bien que je vous laissasse partir!... Mais non, je vous porte un trop vif intérêt ; et malgré vous, que diantre ! Je veux vous servir. Et Gustave suivait machinalement le mar- quis de Pons, qui déjà traversait avec lui de longs corridors tournants. — Où me conduisez-vous donc ? Où sommes-nous ? demanda Gustave, en prome- nant les yeux autour de lui avec étonnement. — Comment donc! mais sur le théâtre... INous allons voir une personne qui sera très charmée aussi de vous connaître ; elle a plus AUX OEUFS d'or. 49 d'une fois parle de vous,, et je suis sûr que vous serez le très bien venu. Gustave, sans trop se rendre compte des in- tentions du marquis, ne put s'empêcher de tressaillir. Ils arrivèrent devant une porte en- trouverte, près de laquelle se tenait un do- mestique en livrée. — Eh bien? demanda le marquis. Pouvons- nous entrer maintenant ? — Mademoiselle est avec sa mère, répondit le domestique. Faut-il annoncer monsieur le marquis ? — Oui, vite... On doit m'attendre en quel- que sorte. Le domestique entra dans la chambre et revint aussitôt. — Si Monsieur le marquis veut se donner la peine de passer dans le salon, dit le domes- tique, en ouvrant la porte toute grande, made- moiselle Duvercourt est prêle à le recevoir. r 0 LA TOllLE Al X OBVfl I>OR. — Duvercourt !.... murmura vivement Gustave en frissonnant des pieds à la tête. Et le marquis, le prenant par la main, se di- rigea vers un petit salon brillamment éclairé. — C'est elle ! Gustave, ébloui comme d'une vision lumi- neuse, n'avait pu retenir cette exclamation in- distincte. — Mademoiselle, dit le marquis, d'un ton gracieux et dégagé , permettez-moi de vous présenter M. Gustave de Valory. IV. UNE MERE IPACT1UCE. Flora était assise près du fini, sur un divan de velours rouge. Mollement aecoudée sur un coussin , elle avait une expression de lan- gueur et de fatigue, qui la rendait plus char- mante encore. Il y avait, à coté de Flora, unefcmmed'un 52 LA P0U1 i certain âge, qui pouvait, quelque vingt ans auparavant, avoir été belle , mais d'une beau- té vulgaire, sansilislinetion. C'était madame Duvercourt, la mère de Flora. Certes, au premier coup-d'œil, on n'aurait jamais pu deviner que l'une de ces deux fem- mes était la fille de l'autre. Flora , svelte et gracieuse, avait dans toute sa personne quel- que chose de noble et d'aristocratique , dont tout d'abord on était frappé. Quant à madame Duvercourt, sa taille carrée et ses mains épais- ses témoignaient de son origine plébéienne; ses pieds, déformant la chaussure, étaient ceux d'une laitière. Sa figure seule, quoique char- gée de plis et couperosée, conservait encore quelques lignes pures et régulières , où l'on entrevoyait, à force de recherches, une certai- ne ressemblance avec les traits de Flora. Mademoiselle Duvercourt était aussi bonne AUX oeufs d'ou. 53 que jolie; malgré la mauvaise éducation et les conseils dangereux qu'elle avait reçus de sa mère, son cœur ne s'étaitpoinlcorrompu. De- puis trois ans de théâtre , la contagion de l'exemple l'avait épargnée. Cependant les oc- casions de faillir ne manquaient pas sans dou- te à la brillante cantatrice 5 elle voyait chaque jour à ses pieds les plus riches , les plus no- bles adorateurs; on lui faisait continuellement de magnifiques offres, capables de séduire une grande dame peut-être; mais jamais Flora n'avait prêté l'oreille à ces propos mielleux et perfides. Jusqu'alors uneseulc passion avait ré- gné dans son cœur àl'exclusion de toutes les au- tres le culte de l'art ! Musique, peinture ou poésie, elle adorait Tari sous chacune de ces trois formes, qui sont la plus sublime expres- sion des sentimentscachés de notre âme. Aussi Flora s'entourait-elle avec bonheur des gens les plus distingués, desartistes lesplus éminents ; t. i, 4 5 V LA l»Ol I I mais, chose étrange, elle avait contre les acteurs on généra! une prévention marquée, peut-être mêmeiojuste;ellene leur ouvrait pas volontiers sa maison , et, bien qu'elle ne cessât jamais d'être avec eux parfaitement bonne et polie , elle avait peine à cacher cette espèce de répulsion qui la faisait passer au théâtre pour une orgueilleuse, et qui lui attirait par- mi ses camarades quelques inimitiés. Par bon- heureux quilaconnaissaient plus intimement lui rendaient pleine justice; et comme elle était douce, indulgente, d'une obligeance extrême, et sans la moindre jalousie, elle était aimée du plus grand nombre et respectée de tous. Flora Duvercourt avait débuté à l'Opéra avec un succès extraordinaire. Après cinq ou six représentations qui, toutes avaient été des triomphes, on lui avait offert des appointe- ments considérables; mais sa mère, ne trou- vant pas encore le chiffre assez rond, voulut AUX OFUFS d'or. 55 absolument qu'on le doublât. Mademoiselle* Duvercourt n'était pas majeure; elle ne pou- vait signer d'engagement sans la volonté de sa mère le directeur de l'Opéra fut donc obligé de souscrire aux folles exigences de madame Duvercourt. Quel changement alors dans le pauvre mé- nage de cette femme qui, pour elle et sa fille, n'avait rien qu'une inscription de trois cents francs sur le grand-livre. Flora , simple élève du Conservatoire , avait accompli , presque sans dépense , toute son éducation musicale ; et même, le soir, quand elle avait cessé d'étu- dier son chant, elle travaillait à l'aiguille plu- sieurs heures, pour subvenir, autant que pos- sible, aux besoins de la maison. Néanmoins, malgré cette gêne extrême, Flora trouvait en- core le temps de lire; et sa mise, quoique très peu fastueuse, n'était jamais négligée. Madame Duvercourt, elle, ne brillait pas du tout par ;>> I \ ROUI i l'élégance au logis, elle portail d'affreuses robep incitées d'huile OH. n'avait pas eu la maladresse de l'effaroucher; cl, sans rien dire qui lût net el précis, il s'é- tait habilement réfugié dans les circonlocu- tions el. les phrases ambiguës du reste, en qualité de futur diplomate, il ne s'était pas trop avancé, et, souple, habile, insinuant, il avait laissé croire beaucoup plus de choses qu'il n'en avait dit. UN FILS Di PAIR DE FRANCE. Madame Duvercourt avait donc , suivant l'expression vulgaire, jeté son dévolu sur le marquis de Pons elle espérait, elle était pres- que sûre que tôt ou lard sa ille épouserait le fils d'un pair de France, et qu'elle, madame 02 LA POULli Duvorcourt, deviendrait une grande dame, reçue un jour au Château. — Patience! patience! ma petite Florineltc, disait la vieille maman à sa fille, en faisant une grimace significative et narquoise, tout ira bien! et si Dieu lui prêle vie, petit poisson de- viendra grand.... — Que veux-tu dire, maman? demandait Flora d'un air surpris. — Je veux dire que c'est une belle chose que la musique! et qu'il n'y a rien de tel que le grand Opéra pour vous mettre une jeune personne en relief! Ah! ah! ah! ça chauffe!. . — Mon Dieu ! maman, je ne te comprends pas en vérité, disait Flora avec un peu d'im- patience; car les expressions basses et triviales de sa mère lui faisaient continuellement mon- ter le rouge au visage. — Tu comprends, Florelte! tu comprends Florinelte! répondait madame Duvercourt, en aux oeufs d'or. 63 souriant d'un air mystérieux. Allons, allons, je t'en prie, ne fais donc pas la bégueule ! — Oh! maman, de grâce, n'employez pas de semblables termes.... — Tiens ! et pourquoi donc ça? faut-il pas prendredes gants jaunes pour direà mam'selle est une pie-grièche, une petite chipie ! — Maman, maman, c'est intolérable! disait Flora, les larmes aux yeux. Si par malheur on t'entendait, je serais la fable du théâtre.... — Chut! chut, petite! pas déraisons! pas de colère surtout! — Non, je n'ai pas de colère. .. je parle sans me fâcher... Mais vraiment, à mon âge, il ne faut pas me traiter ainsi! Je ne suis plus une enfant.... — Si, mam'selle! Vous êtes mineure, vous êtes toujours sous l'autorité maternelle! Et Flora, songeant qu'elle Savait pas encore accompli sa dix-neuvième année, baissait la iï I A POOLS tète sans répondre, avec une résignation dou- loureuse. Madame Duvcrcourt voulait 6 la rorii — Tiens! cette betisc; à quoi propos? Ma foi! à propos du mariage ; pour les bons mo- tifs! — Maman, c'est impossible ! il ne faut pas y songer... — Ah ! ah ! tu crois ça , toi , ma biche? Au contraire , c'est qu'il y faut songer, et joli- ment ! Ce n'est pas tout , je veux que les af- faires se bâclent avant deux mois d'ici ! — Maman... — Il n'y a pas de maman qui tienne! Moi, d'abord, quand il s'agit de la vertu de ma tille, de sa réputation, et de quarante mille livres de rente , Je suis comme une lionne! je ne me connais plus , non ! Et si Ton me cherchait noise, je ferais un mauvais coup! Ah ! dame ! — Maman , est-ce que tu te figures, là, sé- rieusement, que monsieur le marquis veut m'épouser? — Par exemple , si je me figure ça ! Je vou- aux oeufs d'or. 67 Irais bien voir qu'il nous fasse la barbe! Et toi, la belle , est-ce que tu te fourres dans la caboche que je reçois chez nous monsieur le marquis pour des prunes? Non, non, ma co- lombe! j'ai de la tête, va, sans que ça paraisse; j'ai mon idée. .. et si je ne l'avais pas eue, mon idée, je te prie de croire que M. le marquis au- rait eu la porte sur le nez, comme tous les autres ! Mais il est temps que ça se décide ; il faut en finir! Je vais aujourd'hui même, ou demain au plus tard, faire mes ouvertures à ce noble jeune homme... J'irai tout droit ; je ne m'v prendrai pas, je le jure, par trente - six chemins... et je lui tiendrai ce discours Monsieur le marquis , voilà plus de trois mois que vous venez tous les jours vous chauffer une heure ou deux chez nous , boire notre eau sucrée, et du thé quand il y en a. Mais ce n'est pas tout, il ne s'agit pas de friandises pour le moment , mais de ma fille, qui en vaut bien f>S LA POULE une autre.;, de friandise! On sait partout , clans te quartier comme au théâtre; oui , jus- qu'aux allumeurs, on sait que vous faites la cour à ma chère enfant... . Du reste, c'est per- mis; je tolère quand c'est pour de bons mo- tifs. Mais c'est égal, nous avons M. le maire, nous avons la municipalité, cl c'est bien pour quelque chose! Au surplus, n'allez pas vous mettre dans le toupet que ma fille est un mauvais parti ; elle a trente mille francs d'ap- pointements, sans compter les feux, trois mois de congé ; et dans un an d ici, quand rengage- ment va finir, nous le doublerons... ou bien zut ! en roule pour Londres et Saint-Péters- bourg! On paie par là-bas! et les millions vous pleuvent sur les épaules quand on vous a une frimousse comme celte petite fée, et une voix analogue ! Mais c'est égal, nous ne sommes pas des marâtres ni des intéressées; on brûlera la politesse aux grands seigneurs russes et aux AOX OKU F S l>'OR. 69 milords anglais, si vous faites convenablement les choses... et ça ne vous est pas bien difficile, vu que vous idolâtrez nia fille, et qu'elle vous idolâtre idem... — Moi, ma mère? Moi!... interrompit vive- ment la jeune cantatrice avec une intonation fière et digne. Je n'ai jamais dit que j'aimais monsieur de Pons ! — Eh bien î après? répliqua madame Du- vercourt, d'un air ébahi; ne vas-tu pas mainte- nant prendre la mouche à propos de bottes! Quand tu l'idolâtrerais , ce monsieur, où est donc le grand mal, puisqu'il t'épouse? — Mais en vérité, maman, tu en parles bien à ton aise, et les choses vont grand train avec toi... D'abord , tu avances assez légèrement que monsieur le marquis de Pons m'aime... En es-tu bien sûre? — Tiens, c'te farce ! si j'en suis sûre? C'est absolument comme si tu me demandais Es- t. il. 5 70 la roi lu lu bien sûre d'aimer la soupe à l'oignon? Flora fil un geste de dégoût. — Oui, continua la vieille, j'en suis sûre comme deux et deux font quatre. Il l'aime, il t'adore... même qu'il en maigrit 1 Ah ! dame , je ne dis pas qu'il vise au conjungo... mais c'est égal, il vise quelque part ! Tu ne vois pas ça toi, petite vierge, petite innocente ? Mais il est comme un enragé! Oh! ça me connaît... Je ne tombe pas de la lune; et nous autres inamans, nous avons l'expérience des hom- mes t Ah! je crois bien, va, qu'il t'aime! C'est au point que si j'avais le malheur de m'absen- ter toute une soirée, lu m'en dirais de fameu- ses nouvelles!... Mais que je t'y voie, mal- heureuse! s'écria-t-elle en prenant un air féroce ; si tu allais faire un coup pareil, me ruiner... Ah! ah! Dieu me pardonne, je t'é- tranglerais de mes propres mains ! — Bon Dieu ! maman, vous êtes singulière! AUX OEUFS D'OR. 71 Quelles idées! Que de paroles inutiles!... — Non, ça n'est pas inutile , c'est de la mo- rale ! Une mère ne saurait jamais trop prêcher la vertu à sa fille... Prends-y bien garde ! c'est le plus clair de ton avoir, avec ta voix de con- tralto... Et si tu venais à les perdre l'un et l'au- tre, nous n'aurions plus qu'à tendre la main... et l'on n'y mettrait pas grand chose, va !... Petite folle, petite imprudente, qui joues sans cesse avec le feu ! ça finira mal !.. —-Ma mère, c'est impatientant! Toujours le môme langage , les mêmes reproches , et cela sans motif! — Ah ! sans motif? Et tous vos beaux mir- liflores en gants beurre frais, qui n'ont pas le sou?Tous vos journalistes, vos littérateurs crot- tés qui viennent sans cesse vous rabâcher les mêmes bêtises, ça n'est pas des motifs?... Ehl je vous en prie, qu'est-ce qu'il vous faut donc encore, tyiam'sel le? Un amoureux parmi les ac- 7 k i i a îoiLE leurs? En voilà du beau ! Non, non, qu'on me remette lous ces paltoquets là à leur place !.. ça n'est pas des hommes.;, ça marche à pat- tes... Flora haussait les épaules avec une impa- tience croissante. — On a beau se tortiller, mam'selle, ça n'y fait rien !.. Je suis une femme prudente, moi... et vous, une petite linotte ! Fi donc ! fi donc! au lieu de tourner le dos à tous ces va- nu-pieds ! au lieu de faire une gentille mine et des risettes aux grands seigneurs de l'avant- scène! ça pourrait mener à quelque chose au moins... Et dans le nombre il y aurait du choix Mais non, rien d'aimable, rien d'à-* gaçant mais de pudique... toujours une mine froide , des yeux baissés , un air distrait ! Oh ! c'est bêle! mon Dieu, que c'est bête! Aussi les hommes ne s'amourachent qu'aux trois quarts... C'est des amours comme des feux de AUX OEUFS !> OU. /•> paille... On parle bien rie vingt-cinq mille francs, mais de mariage, point! Vingt-cinq mille francs!... C te charge! plus souvent, les autres!.. Flora était au supplice; elle pâlissait et rou- gissait lonr à tour, sans oser dire une parole, dans la crainte de ne pouvoir contenir sa colère. — Aussi, tu vois comme je les reçois, pour- suivit madame Duvercourt, absolumentcomme des chiens dans un jeu de quilles!.. Ah! ah! j'ai pris le bon parti ; je leur ai tenu la dragée haute... ça été peut-être un peu plus long... mais c'est plus sûr, c'est de l'argent mieux placé! Vois-tu, c'est comme les marchands, quand ils peuvent attendre et garder les mar- chandises en magasin... — Oh! c'est trop fort! dit impétueusement Flora , en voulant sortir de la chambre. Mon 74 LA l'ouï B Dieu! mon Dieu! quelle humiliation I si vous n'étiez pas ma mère... — Eh bien ! quoi ? après? Avec des si , on mettrait Paris dans une bouteille... Voyons, reste, petite soupe au lait, et ne nous sauvons pas... Je ne te parlerai plus de tout ce monde, puisque ça te fâche... Parlons seulement du marquis Ah! pour celui-là, c'est ton bijou, c'est ton idole... — Je ne le puis souffrir, maman ! dit Flora d'un ton plein d'amertume et de vivacité. Cet homme m'est odieux! — Voyez-vous, voyez -vous ça! répondit madame Duvercourt en fermant un œil et en haussant une épaule d'un air incrédule et mo- queur. Si l'on croyait pourtant les petites filles , comme les affaires iraient bien ! Mais heureusement qu'on ne fait pas attention à ce qu'elles disent, et qu'on s'obstine à faire leur bonheur malgré elles... AUX OEUFS 1'0R. 75 — C'est trop de bonté, maman ! je t'en dis- pense... — Comment! petite ingrate, répondre ainsi à Fauteur de tes jours... — Pardon, si je te fâche, maman... ce n'est pas mon intention, je te jure ! Mais encore une fois, je te dis , je te répète que le marquis de Pons me déplait horriblement , que je ne puis le Yoir ! — Caprice , caprice... idée de jeune fille... — Non , ce n'est pas une idée , c^est une antipathie profonde, invincible! — Laïsse-moi donc, ma chère, avec tes an- tipathies! tu ne dis pas un mot de ce que tu penses... C'est pour mieux jouer ton jeu... Tu es une matoise, une fine commère ! Il y a trois ou quatre jours encore, tu parlais du marquis dans un tout autre style... A t'entendre, c'é- tait un miracle, un phénix... même que j'en avais la chair de poule ! Ah ! ça, tu en conviens, 76 POULI c'est une plaisanterie! lu raffoles de ce noble jeune homme I Lorsqu'il te fera monter dans son équipage pour te mener ehez le notaire , je parie bien que tu changeras d'antienne... — Non, jamais 1 s'écria Flora d'un ton ferme et indigné. Cet homme aujourd'hui me fait horreur! Je vous en conjure , ma mère, ne le recevez plus! — Ne plus le recevoir... lui, un fils de pair de France... le marquis de Pons... qui , j'en suis sûre, est très délicat avec les femmes!... Mais tu es folle, tu es malade ! — Je suis ce que tu voudras, ma mère!... Enfin, je t'ai dit ma résolution je ne veux plus voir cet homme, ou bien s'il ose encore se pré- senter devant moi , je lui ferai sentir tout ce qu'il y a pour lui de mépris et de haine au fond de mon cœur ! — Que je t'y voie ! aux oeufs b'on. 77 Et madame Duvercourt avait un geste me- naçant. Flora se tut , et laissa madame Duvercourt expectorer toute sa colère et jeter de grands éclats de voix. Enfin, profitant d'un moment où sa mère lui tournait le dos et continuait à fulminer, elle sortit tout doucement, et s'en- ferma dans sa chambre à coucher. Cette conversation entre la mère et la fille avait eu lieu la veille même du jour où Flora, triomphante , couverte de fleurs et de cou- ronnes, vit le marquis de Pons entrer dans sa loge, accompagné de Gustave Valory. VI. DERRIERE LA SCENE. Ce fut le marquis de Pons qui entra le pre- mier. En le voyant, Flora tressaillit et devint pâle comme la mort. Le marquis remarqua l'effet bizarre et violent qu'il produisait; mais il devait s'y attendre t et peut-être même ne 80 l A POI LE fut-il pas, au tond du cœur, Irop fâché d'agir si vivement sur la belle Flora. D'ailleurs, il avait tout prévu, comme un homme habitué à ces sortes de péripéties ; et ses précautions étaient si bien prises qu'il n'avait pas à craindre que Flora, dans un transport d'indignation , ne laissât échapper tout ce qu'elle avait dans l'âme. — Mademoiselle, dit-il, en saluant d'un air gracieux et dégagé, ma visite n'a rien qui vous étonne, sans doute... Je n'aurais pas voulu quitter l'Opéra sans vous exprimer toute mon admiration, toute ma reconnaissance pour le merveilleux talent que vous avez déployé ce soir. Flora ne fit aucune réponse et salua froide- ment le marquis. Gustave, immobile et debout, ne savait trop quelle contenance faire. Timide et embarrassé, comme presque tous les jeunes gens qui n'ont Al A OEUFS 1>'0R. 81 pas encore l'habitude de Paris, il avait peur d'être gauche et ridicule ; ilsesenlaitrougir et trembler ; son cœur battait avec une force ex- trême. — Ah ! comme ça, vous êtes joliment con- tent, dit madame Duvercourt, en se frottant les mains. Il paraît que nous avons décidé- ment bien chanté '• Seulement ces gueux de l'orchestre font un tintamarre de tous les dia- bles, et mon pauvre petit ange est obligé de s J egosiiler. Dites donc, monsieur le marquis, vous qui êtes tout puissant dans la boutique, donnez-leur un joli galop ! — Soyez tranquille, madame Duvercourt, répondit le marquis en souriant. Je me suis déjà plaint au directeur et au chef d'or- chestre; je ne doute pas qu'à l'avenir on ne fasse quelque attention à mes remarques. En effet, c'est un meurtre, c'est une profanation d'étouffer avec tout ce bruit de cuivre et de 82 LA POULE tambours la voix la plus enchantcresso du monde! — AU ! dam, c'est que je me fâcherais tout rouge à la fin! reprit madame Duvercourt, en absorbant une large prise de tabac. Je crè- verais leurs tambours, et ça ne ferait pas un pli encore! Pardienne! j'aurai la jambe bien faite quand ils auront donné une voix de rogomme à ma pauvre fille. Les scélérats ! ils ne savent donc pas que c'est nous ruiner! . . . Oui, cinquante mille francs par an, et bientôt le double 1 — Je l'espère bien, dit le marquis, car, en vérité, mademoiselle n'a pas ce qu'elle mérite. Ainsi, vous n'avez qu'à me laisser faire ; je me charge de tout, moi. Je veux que l'enga- gement soit modifié d'un bout à l'autre ; avant six mois d'ici, mademoiselle Duvercourt aura quatre-vingt mille francs d'appointements ! Flora demeurait muette et glaciale ; elle ne AUX oeufs d'or? 83 tournait pas les yeux du côté de M. Pons ; elle avait l'air d'ignorer la présence du mar- quis et celle de Gustave. Quant à madame Duvercourt, elle donnait un libre essor à toute sa joie. — Quatre-vingt mille francs ! disait-elle, en aspirant force prises de tabac. A la bonne heure, c'est du propre ! Nous aurons de quoi faire bouillir la marmite. — Soyez tranquille, madame Duvercourt, continua le marquis, dans cinq ou six mois, vous pourrez voir que je tiens mes promesses. Mais une chose serait fort importante, elle activerait singulièrement les affaires... Aussi, j'y pense, et très sérieusement, je vous jure! Il faut à mademoiselle Flora un rôle nouveau, un rôle immense, comme il n'y en a pas au théâtre... Un rôle enfin qui, du premier coup, la mette au pinacle, et qui fasse admirable- ment valoir toute la souplesse, toute l'éner-» 84 LA roi 1 1. gie, tome la puissance de son talent! La voix de mademoiselle est quelque chose de prodi- gieux! c'est tout à la fois un soprano et un contralto; c'est tout le clavier de la voix hu- maine, depuis la note la plus déliée, la plus ai- guë, jusqu'au son le plus grave et le plus mâle! Mcyerbeer, que j'ai vu ce matin encore, dit bien qu'une pareille voix est incomparable, que c'est une merveille ! et il écrit maintenant un opéra dont il a choisi lui-même le sujet le poème n'est pas fait encore. Meyerbeer le destine à un écrivain sérieux, à un homme qui soit poète au même degré que lui-même est musicien. Dans cet ouvrage, qui sera mo- numental, se dessine un rôle qui n'a pas un équivalent au théâtre. Ce rôle est destiné d'a- vance à mademoiselle Flora. Le marquis se tut un moment, dans l'es- poir que Flora, joyeuse, émerveillée, ne pour- rait s^empêcher au moins de lui adresser quel- AUX oeufs d'or. 85 ques remerciements; mais celle-ci garda la même contenance impassible elle ne semblait même point avoir entendu ce que venaitde dire le marquis. M. de Pons, cruellement mortifié., se pinça les lèvres, mais il n'eut garde de laisser pa- raître sa mauvaise humeur, et, prenant un air des plus aimables, il ajouta en se rappro- chant de la cantatrice — Mademoiselle me boude un peu... et je sais parfaitement pourquoi... Oui, je l'avoue, je suis coupable.., très coupable. Flora, stupéfiée d'une pareille audace, leva fièrement la tête et regarda le marquis avec un air de mépris glaçant. — Je sais pourquoi, vous dis— je, made- moiselle. . .Mais franchement vous êtes par trop sévère! Je veux bien en faire juge madame votre mère et monsieur Gustave de Valory , que j'ai l'honneur de vous présenter... T. I. " 6 86 LA POULE AUX OEUFS D'oïl. A ce nom, mademoiselle Duvercourt parut frappée de surprise. En jetant un coup-d'œil furtif et rapide, elle avait bien déjà remarqué Gustave; mais le pre- nant pour quelque oisif et riche fat, pour quel- queami de M. de Pons,elle ne l'avait pas môme honoré d'un regard. Ce nom de Gustave Valory produisit un ef- fet magique sur Flora. Vil. MUSIQUE ET POESIE. Depuis longtemps, sans connaître Gustave, sans Tavoir vu, elle prenait à son avenir poé- tique, à ses ouvrages, un étrange intérêt. C'est que dans les débuts de Gustave et de Flora il y avait une frappante analogie; l'un 88 I A l»Of I I et l'autre avaient surgi lout-à-coup, sans tâ- tonnements, sans charlatanisme ; l'un et l'au- tre, ils s'étaient, du premier pas, élancés jus- qu'aux dernières limites du succès; l'un et l'autre, ils avaient soulevé autour d'eux un tourbillon d'envieux et d'admirateurs. Flora venait de se lever ; elle saluait gra- cieusement Gustave, qui, plein de trouble et d'embarras, se confondait lui-même en salu- tations. — Oui,mademoiselle,dit le marquis avec un sourire triomphante savais depuis long-ten; ; s toute votre sympathie pour le talent de notre jeune poète; et, comme vous n'avez pas d'ad- mirateur plus passionné et plus enthousiaste que monsieur Gustave Valory, j'ai cru ne pas vous déplaire en me chargeant d'être son introducteur auprès de vous. Flora, toujours un peu embarrassée, fit un nouveau salut, et Gustave, pour se donner aux oeufs d'or. 89 une contenance, tourna son chapeau clans sa main. — Àh! oui-dà! dit madame Duvercourt, en faisant un petit signe de tète protecteur à Gus- tave. Voici donc le fameux génie en personne, monsieur Gustave Valory, qui a une si belle écriture... même qu'il a fait la mort de So- crate. Jolie pièce, ma foi! n'y a que la lin qui me chiffonne. Dites-moi donc un peu qu'est-ce qu'il avale, ce vieux avec une barbe? il paraît que ça fait mourir, cette tisane ? Gustave, émerveillé de tant d'abrutissement, ne savait que répondre; il craignait d'avoir mal compris M. de Pons, et ne pouvait croire que cette espèce de cuisinière fût Madame Du- vercourt, la mère de Flora. Celle-ci, confuse et impatientée, se mordit les lèvres; elle souffrait le martyre. Pour le marquis, il souriait malicieusement, cl jouis- 90 LA POU .1 sait peul-ôlre, au fond du cœur, delà honte de Flora. — Eh bien! c'est égal, c'est une pièce très- genlille , continua Madame Duvercourt. Faut croire qu^l avait soif, le brave cher homme, ou qu'il avait ses raisons pour prendre méde- cine... Dites-moi donc, Monsieur Gustave, est-ce que par hasard vous l'auriez connu ce particulier, M. Socrate? A ce dernier trait de bêtise incroyable, Gus- tave pensa faire un songe; mais, ne pouvant croire môme à la possibilité d'un songe aussi saugrenu, il se demanda si Madame Duvercourt ne se moquait pas de lui. Enfin, Flora, voulant mettre un terme au ba- vardage effréné de sa mère, fit tous ses efforts pour réparer, autant que possible, l'imperti- nence et l'incongruité des questions de Mada- me Duvercourt. Elle fit à Gustave les éloges les plus délicats; et, sans la moindre prétention, AUX OEUFS D'OR. 91 sans la plus légère teinte de pédantisme, elle causa littérature et poésie comme une per- sonne instruiteet merveilleusement organisée. Après avoir échangé quelques phrases avec Flora, Gustave n'eut pas de peine à compren- dre tout l'intervalle immense qui existait entre la mère et la fille c'était la poésie et le pro- saïsme côte à côte; la distinction et la vulga- rité toujours en présence. Gustave voulut à son tour complimenter Flora et lui dire tout ce qu'il avait de sympa- thie , d'admiration, pour son incomparable ta- lent; mais les mots ne lui arrivaient pas, et il ne pouvait que balbutier des phrases incohé- rentes et confuses. Le marquis venait de s'asseoir sur un fau- teuil à quelque distance de Flora ; et, le corps renversé en arrière, les jambes croisées l'une sur l'autre, il jouait négligemment avec une petite canne à pommeau d'or incrusté de rubis 92 LA imk ; E Mais bien qu'il no parût prendre qu'un intérêt médiocre à la conversation , il n'en perdait pas une syllabe; cl ses regards, vifs et scruta- teurs, allaient sans cesse de Gustave à Flora; puis, se penchant avec insouciance vers Ma- dame Duvercourt, il lui disait à voix bassequel- ques mots à l'oreille. — Oui, monsieur, je suis enchantéede vous connaître, disait Flora d'une voix douce et vi- brante à Valory. Je ne vous le cache pas, il y a bien longtemps que j'avais ce désir, et je dois savoir gré à M. le marquis de Pons. . . Le marquis fit une légère inclination de tête, en signe de remerciement. — Mademoiselle, répondit Gustave avec en- thousiasme , c'est moi qui dois remercier de toute mon âme M. le marquis de Pons! il a deviné pour ainsi dire le fond de ma pensée... Oh! ma reconnaissance lui est pour jamais ac- quise! aux oeufs d'or. 93 — Et je l'accepte, mon cher Monsieur de Valory, dit le marquis, en lui tendant la main. Ce n'est pas au moins que je sois fort intéressé, et je ne prétends rien pour moi-même... Mais n'allez pas croire qu'en échange du plaisir que je vous cause , je me borne à recevoir vos re- merciements. .. Non, pardieu ! c'est beaucoup, mais ce n'est pas assez il me faut encore au- tre chose, et vous savez bien quoi... Flora, de plus en plus étonnée de l'aisance et des manières dégagées du marquis, le re- gardait avec un mélange de surprise et de co- lère. — N'est-il pas vrai, Mademoiselle? reprit en souriant le marquis de Pons, vous exigez, nous exigeons tous les deux que M. de Va- lory se mette immédiatement à l'ouvrage, et traite le grand sujet dont nous sommes conve- nus. — Mais, pour ma part, je n'ai rien à exiger 94 LA POILE de Monsieur Valory dit Flora, non sans quelque hésitation. Certes, je tiendrais à hon- neur déchanter les beaux vers du plus jeune et du premier de nos poètes... Mais je ne crois pasavoirencore le droit, et surtout le pré- texte d'imposer à monsieur un pareil tra- vail — Oh! mademoiselle, s'écria Valory avec feu, je vous en conjure, donnez-moi des or- dres! pour vous, je suis prêt à tout faire!.. Oui, dussé-je laisser là mes ouvrages commencés, mon poème épique, ma tragédie, n'importe ! je quitterai tout avec bonheur, si j'ai l'espoir d'entendre un jour mes vers sortir de votre bouche!.. Flora baissa la tête, et rougit. Le marquis de Pons remarqua ce mouvement et cette rougeur; puis, se frottant les mains, il sourit avec une expression indéfinissable. — Ainsi, dit-il, c'est chose convenue? De- aux oeufs d'or. 95 main, je vais avec M. deValory chez Meyer- beer, et tout s'arrangera. Dans six mois au plus tard , nous aurons un nouveau chef-d'œu- vre. — Et comment que vous le nommez , votre chef-d'œuvre? demanda Madame Duver- court. — Le Juif-Errant, madame , répondit le marquis. — Tiens! mais c'est une chanson des rues, ça, dit Mme Duvercourt, en hochant la tête. Ça ne convient pas à mon enfant. — Soyez tranquille, madame, continua le marquis, c'est un sujet magnifique!.. Des ef- fets merveilleux... Robert le Diable n'est rien auprès! — Eh bien! soit, dit Madame Duvercourt, en prenant une grosse prise de tabac. Pour ce qui est de moi , je donne ma permission, j'ap- prouve... quoique je n'aime pas les juifs, pas 96 i,a poi i i plus lo juif-errant que les autres... C'est nue antipathie, voyez-vous, une véritable horreur, comme pour les cliats!.. Flora, pour empêcher Gustave d'entendre les burlesques observations deMadame Duver- courl, ne laissait pas languir la conversation; elle parlait de musique et de poésie. Cependant il y avait déjà plus d'une demi- heure que durait la visite du marquis et de Gustave; il était déjà fort tard ; on éteignait les lampes du corridor. — Eh! eh! mes chers enfants , dit Madame Duvercourt, en se levant tout effarée , nous passons la nuit à faire la causette... qu'est-ce qu'on va dire? Justement nous sommes quatre, deux messieurs et deux dames!.. Filons, fi- lons, mes enfants... il y a de mauvaises lan- gues dans cette boutique. — Oh ! soyez tranquille, Madame Duver- court , répondit le marquis, avec un sang- AUX oeufs d'or. 97 froid superbe on connaît vos vertus et voire incorruptibilité! Sans cela, dam... Eh! eh! je ne dis pas... vous avez encore un œil si vif... — J'en ai deux, s'il vous plait, interrompit madame Duvercourt , en se redressant avec fierté. Et dans mon temps, ces deux là, je vous prie de le croire, en valaient bien quatre ! Sans compter, comme dit c'I autre, qu'on avait les denîs nn^ogues, une petite frimousse un peu gentille, qui ne se mouchait pas du pied!... Mais partons, partons... Flora s'était levée; elle mil sa pelisse et fit quelques pas vers la porte. — Mademoiselle , dit galamment le mar- quis, en offrant son bras à la cantatrice, per- mettez!... Mais Flora fit un pas en arrière; et, prenant le bras de Gustave , elle dit au marquis de Pons 98 LA POULE AUX OEUFS D'OR. — Veuillez m'excuser, monsieur le marquis; monsieur vous avait prévenu... Le gentleman se mordit les lèvres, et ses yeux étincelèrent. — Allons, allons, consolez-vous, mon cher monsieur le marquis de Pons , dit madame Duvercourt d'une façon coquette et provo- cante , vous aurez une compensation... Don- nez-moi le bras. Le marquis, furieux et confus, demeura un instant comme pétrifié ; il fut au moment d'é- clater ; mais , jugeant à propos de se contenir pour ne pas s'aliéner madame Duvercourt, il se résigna courageusement à traîner cet hor- rible boulet. Le domestique du marquis se tenait en de- hors de la loge; il descendit à la hâte pour faire avancer la voiture. VIII, LE BOULET. Flora et Gustave marchaient les premiers ; madame Duvercourt, pesant de toute sa lour- deur sur le bras du marquis, se pavanait or- gueilleusement, en traînant ses pieds énormes qui, à chaque pas, faisaient claquer ses soc- 100 A 1*01 I I quesavec le bruil sec d'une noix qu'on brise. Joyeuse et fière de s'appuyer sur le bras d'un gentilhomme, du fils d'un pair de France, elle aurait donné tout au monde pour être vue en si belle posture par toutes les commères de son voisinage. Le marquis baissait la tête avec un dépit mal déguisé; il se trouvait d'un ri- dicule accompli. — Ah ça! dit madame Duvercourt, d'une voix claire et perçante, j'espère bien que nous avons là notre équipage, notre landau, notre livrée?... — Oui, oui, soyez tranquille, répondit à voix basse le marquis. — A la bonne heure, ajouta la vieille d'une voix plus éclatante ; j'aime qu'un équipage soit toujours à mes ordres, avec un marchepied en velours, des coussins moelleux dans l'inté- rieur, un tapis de haute laine sous mes pieds!... Ah! ah ! c'est du chenu, notre équipage, mon- Al\ OKIFS d'oR. 101 sieur le marquis! et de iières bêles qui vous traînent ça! Voilà ce qui s'appelle soigné!... Avant peu, n'est-ce pas, j'en ferai des pro- menades, qui ne seront plus à quaranle sous l'heure!... Je vais me faire un peu joliment brouetter!... J'ai mêle lusque, moi, je l'adore!... Un brillant équipage attendait à la porte; deux chevaux vifs et fringants piaffaient avec impatience. Un domestique en riche livrée te- nait la portière ouverte, son chapeau à la main. Madame Duvercourt, sans attendre qu'on la priât de monter, s'envola^ pour ainsi dire, malgré son embonpoint, el retomba lourdement dans la voiture, qui vacilla, rudement secouée. Le marquis tourna la tête pour chercher Flora; il la vil à quelque distance, donnant toujours le bras à Valory et semblant vouloir s'éloigner. — Eh! bon Dieu, mademoiselle, dit le mar- quis de Pons, à quoi songez-vous? il fait un T. II. 7 102 la POULE horrible temps; vous allez vous enrhumer d'attendre ainsi dehors... Voici ma voiture... — Je vous remercie infiniment, monsieur le marquis, répondit Flora, avec une politesse glaciale je me sens mal à la lète, et je préfère m'en aller à pied... — Quoi! est-il possible, par ce froid, par celte neige?... — C'est l'observation que je me permettais de faire à mademoiselle, ajouta Gustave. — Je vous suis mille fois obligée, monsieur Valory, dit Flora, sans tourner les veux vers le marquis de Pons; mais je ne crains pas le grand air... J'aime beaucoup à marcher, le soir surtout... et si vous avez la complaisance de vouloir bien nous accompagner, ma mère et moi, jusque la maison, vous nous ferez un grand plaisir... — Votre mère, mademoiselle,, observa le marquis, d'un ton piqué, je ne crois pas du' AUX OEUFS DOR. 10 » tout qu'elle soit en humeur de retourner chez elle à pied... les rues sont fort glissantes. Il y aurait vraiment de l'imprudence, permel- lez-moi de vous le dire, presque de la folie, à vous en aller à pied parce temps, à pareille heure!... — N'importe, monsieur le marquis, répon- dit sèchement Flora; je veux être folle tout à mon aise... C'est une idée comme une autre... D'ailleurs je vous répète que j'ai une migraine affreuse! le grand air la dissipera. . En parlant ainsi , Flora tournait la tête à droite et à gauche ; elle cherchait sa mère, et, la croyant encore sous le vestibule, elle ne pouvait s'expliquer un semblable retard. — Vous cherchez madame Duvercourt ? dit le marquis avec un sourire de joie sardonique. Elle vous attend. — Ma mère? où donc peut-elle être? — Mais à deux pas de nous, mademoiselle... 104 POOLS Tenez, vous pouvez l'entendre En effet, une voix aigre et discordante ap- pelait Flora c'était madame Duvercourl, qui, devinant à ce relard quelque refus ou quelque indécision de sa fille, commençait à s'impa- tienter fort. — Eh bien! eh bien! les autres! criait-elle en passant la tête par la portière, arrive-l-on ? Je gèle !... — Vous entendez, mademoiselle, dit le mar- quis. Je vous en conjure , permettez-moi de vous reconduire, ou du moins laissez-moi dire à mon domestique de vous faire avancer un fiacre... — Monsieur, encore une fois, je vous re- mercie, je n'ai besoin de rien... Je veux mar- cher. Je vais dire à ma mère que je souffre... elle sait que la voiture me fait mal; elle con- sentira sans peine à ce que je lui demande .. — Voyons donc, là-bas ! reprit madame Du- AUX OEUFS DOB. 105 vercourt, en agitant la portière, aura-t-on bientôt fini de me faire droguer? — Pardon, maman, pardon, dit Flora en s'avançant près de la voiture; je ne suis pas très à mon aise... je voudrais faire un peu d'exercice. Je t'en prie, retournons à pied... — A pied, ma chère! es-tu folle? est-ce que tu as bu? dit madame Duvercourt, saisie d'é- tonnement. Allons, monte, et vile!... Monsieur le marquis va se fâcher à la fin. Mais Flora ne'fit pas un mouvement. — Ah ça 1 est-ce que tu es sourde, que tu restes là comme un terne? poursuivit madame Duvercourt, d'une voix plus aigre; lu vas t'en- rhumer et perdre ton sol... Vite donc, vite !... — Maman, je t'en supplie, fais ce que je dé- sire... Il faut que je marche, que je prenne l'air... sans quoi je ne fermerais pas Tceil de toute la nuit, et demain je ne pourrais pas chanter au concert... 106 l' — Que je l'y voie ! Ne pas chanter ! dit avee autant d*eflroj que de colère Madame Duver- eourt elle avait déjà reçu un billet de cinq cents francs pour le concert qui devait avoir lieu le lendemain dans les salons d'Erard. Le marquis ne disail pas une parole, mais, bien persuadé que la mère triompherait de la fille, il attendait avec persévérance qu'il plot à Flora de monter en voiture. — Ecoule, maman, dit Flora, d'un ton fer- me et résolu ; je te jure que si tu me refuses unechose aussi juste, aussi simple, je ne chan- terai pas demain. Madame Duvercourt, sérieusement effrayée, ne crut pas devoir opposer une plus longue ré- sistance au caprice de Flora le billet de cinq cents francs lui tenait trop au cœur. Elle se ré- signa donc à descendre de voilure en gromme- lant; mais furieuse et désappointée, elle se promit bien de prendre sa revanche et de AUX OEUFS DOR. 107 faire payer cher *i Flora ce triomphe d'un mo- ment. — Hum! hum ! lit-elle en élernuant avec colère. Ayez donc des filles, ruinez-vous donc pour elles... Oui, ruinez-vous donc pour les éduquer et leur faire apprendre la musique! elles vous récompensent drôlement... Patau- ger dans la neige, dans la boue, comme une marchande de pommes! En v'Ià de l'élégan- ce!.. On a beau avoir des socques, ça ne suffit pas... Faudrait des bottes à l'écuyère ! — Allons, un peu de courage, ma chère Madame Duvercourt, dit le marquis avec une affectation de bonne humeur. Il ne voulait pas avoir l'air trop contrarié ; et, faisant de né- cessité vertu, il se promettait, à part lui, d'avoir aussi sa revanche. — Il ne s'agit pas d'avoir du courage, dit en grognant Madame Duvercourt; il faudrait avoir des sabots. Voyez donc c'te mare... i OS POULE — Bah! Madame Duterdourt, les trottoirs lOntsecS; je nie charge, moi, de vous faire arriver au logis sans une tâche de boue a votre robe. — Je crois bien, répondit Madame Duver- eourl, en se retroussant jusqu'au milieu des mollets. On s'arrange pour la robe... Mais les bas! Des bas tout blancs d'hier... Pendant cette étrange conversation et ces débats de Camille, Valory se tenait à quelque dislance, comme par discrétion il attendait avec une fébrile impatience qu'on se remît en marche; son cœur battait violemment, des frissons parcouraient son corps. Cette brusque et singulière résolution de Flora ne pouvait manquer de le surprendre; et des idées pleines de joie et de trouble, lui traversaient l'es- prit. — Oh ! pensait-il avec délire, si c'était... Mais non, je suis fou ! AUX OEUFS D'OR. 100 Enfin la cantatrice voulut prendre le bras de sa mère mais celle-ci, la repoussant avec un peu de rudesse, lui dit — Donnez le bras à monsieur le poète , mam'selle , puisqu'il est assez bon pour se charger de vous. Moi, je marche derrière. — Et je serai votre cavalier, Madame Duver- court , ajouta le marquis d'un air câlin, en présentant son bras à la vieille. — Ce n'est pas de refus, jeune homme trop galant, répondit-elle en le regardant d'un air attendri. En voilà un gentilhomme, un vrai chevalier français ! Au lieu de s'en aller dans sa bonne voiture, il trotte à pattes au milieu de la bouepour accompagner le sesque! Bravo! bravissimo! vous avez trouvé le chemin de mon cœur!... — Et c'est un chemin beaucoup plus agréa- ble que celui-ci, j'en conviens, répliqua le 110 LA POULE marquis avec un sourire des plusaimablcs,toul en grinçant des dents. — Oh ! qu'on a bien raison de dire qu'il n'y a que les grands seigneurs pour être honnêtes, s'écria Madame Duvercourt enthousiasmée. En avant, marchons! En route, les autres ! Flora n'avait pas attendu l'ordre maternel pour se mettre en marche. Gustave lui donnait le bras , et frissonnait sans trouver une parole à dire. Madame Duvercourt, elle, ne tarissait pas dans son éloquence, et prodiguait au marquis un luxe de remerciements et d'éloges qu'elle avait l'art d'exprimer le plus grolesquement du monde. Mais au milieu de tout ce verbiage, elle suivait fort diplomatiquement son idée, et préparait les choses avec une certaine adres- Tout-à-coup le marquis pousse un éclat de rire mal étouffé mais, pour dissimuler autant AUX OBUFS D'OR. 111 que possible cet accès d'hilarité impertinente, il toussa bruyamment. — Voulez-vous un peu de sucre d'orge? dit Madame Duvercourt, en s'arrêtant pour fouil- ler dans sa poche. C'est fameux pour le rhume'. — Merci , merci , Madame Duvercourt, ce n'est rien. On se trouvait alors à quelques pas de la maison ; Flora venait de frapper à la porte co- chère. — Ainsi donc, Monsieur le marquis, n'ou- bliez pas de venir demain, dit Madame Duver- court. Nous causerons en famille Nous arrangerons tout... Moi, d'abord, je vous aime déjà comme une vraie maman. Ça ne fera que croître et embellir! Bonsoir, bonsoir... Tenez- vous les pieds chauds... et la gorge aussi. Vous avez là du rhume... Tenez, mon cher marquis, fourrez-moi un bas de laine dans votre cra- vate, et vous m'en direz de fières nouvelles 112 LA POULE AUX OEUFS dYH. demain matin! La laine, ça pousse à la peau... La porte venait de s'ouvrir Flora dit quel- ques mots de remerciement à Valory; puis elle disparut lestement sous le vestibule, com- me pour éviter les salutations et l'adieu du marquis. Quelques moments après , le marquis de Pons et Gustave montaient ensemble dans l'é- quipage qui les avait suivis au pas. IX. L'AMOUR ET LE TRAVAIL. Gustave ne voulut pas que le marquis de Pons le reconduisît tout à fait. — Il est déjà tard , monsieur le marquis, dit-il; je ne souffrirai pas que vous vous déran- giez ainsi de votre chemin. 114 POULE — Bal»! bah! e'esl un plaisir pour moi, mon cher monsieur Gustave. Je n'ai pas ions les jours cette bonne fortune, et je suis ravi cIVn profiler la conversation d'un homme comme vous esi si agréable! — Vous attachez Jrop d'importance à mon peu de mérite, monsieur le marquis. — Non, non , en vérité, je vous estime au- tant que je vous aime; et si vous le permettez, je serais fort heureux de cultiver votre connais- sance. Il y eut encore quelques phrases de politesse banale échangées entre eux; puis. Gustave insista si vivement pour descendre de voiture, que le marquis de Pons, craignant de lui dé- plaire , fit arrêter enfin. Gustave donnait le même prétexte que Flora. Il avait la tête brû- lante et lourde à force de travail, et jamais il ne rentrait chez lui, le soir, sans faire ^ne pro- menade, à pied, d'une heure ou deux. aux otiuFS d'or. 415 Il fut de nouveau convenu que le marquis passerait dans la matinée chez Gustave pour le présenter au grand compositeur. Enfin les deux jeunes gens se séparèrent. Gustave était impatient d'être seul;il voulait donner un libre cours à ses pensées; un tor- rent de feu bouillonnait dans son cerveau; il avait le délire et la joie au cœur. A peine ren- tré chez lui, Gustave s'écria , dans un trans- port d'enthousiasme — Oh î qu'elle est belle ! Non jamais rien d'aussi enchanteur, d'aussi poétique!... Quel regard! Quelle voix douce et charmante! C'est un ange ! Oh ! c'est plus encore, c'est la fem- me qu'à rêvée mon cœur!.. Et il marchait dans sa chambre avec agita- lion. — Oui, je le sens bien, elle ne sortira ja- mais de ma pensée!.. Je l'aime! oh ! je n'aime plus qu'elle au monde !.. C'est maintenant 1 H> l»H I I que j'aspire au succès, au Lriomphe, à la for- tune! Je voudrais loul lui donner! Jo voudrais lui faire une auréole dé gloire!.. Mais soudain il s'inlerrompaitavec unairde profonde tristesse. — Misérable fou ! imirnmra-t-il ; est-ce que je suis digne seulement de baiser la trace de ses pas?.. Elle, si rayonnante, si belle, si ma- jestueuse, environnéed'hommages et d'adora- tion!.. Elle rira de mon incroyable démence, et je n'aurai que sa pitié., ou plulôt son mépris! . Malheureux! malheureux ! 11 tomba découragé, dans un fauteuil; puis, le front dans ses mains, il demeura longtemps immobile et silencieux. Cependant, la nuit était fort avancée. De temps à autre, on entendait le timbre des hor- loges qui sonnait lugubrement les heures ; et le vent de la nuit, et le roulement sourd des voilures qui passaient au loin sur les pavés AUX OEUFS dVR. 117 couverts de neige. C'était un mélange de bruits mornes, tristes et confus. Enfin, après quelques heures de muette rêverie, Gustave s'enveloppa dans son man- teau, et, se jetant à demi vêtu sur son lit, il essaya de s'endormir. Ses yeux étaient lourds, sa tête brûlante, et le sommeil ne venait pas il y avait trop de flamme et de tumulte dans l'imagination de ce jeune homme! Jusqu'au matin, il s'agita fiévreusement dans une dou- loureuse insomnie. Le jour commençait à peine. Quelques rayons de lumière blafarde, tombant sur les toits chargés de neige, se glissaient dans la mansarde de Gustave. Il se lève brusquement, se rhabille à la hâte, et sort de la maison. Les rues étaient presque désertes encore de dis- tance en distance, quelques rares passants qui cheminaient la tête basse, les mains dans leurs poches, tout grelottants. Le froid n'était pas t. i. 8 118 LA POULE moins vif' que la veille, et les charrettes s OK. Vi- se permettre ensuite... Tu te rappelles, n'est- ce pas, que lu as quitté le salon quelques mi- nutes, pour préparer le thé... — Oui. Eh bien! quoi? ne fallait-il pas surveiller mon eau chaude, qui sent toujours le graillon? — Maman , si tu m'avais prévenue au moins!... mais non, j'étais en train de chan- ter; je ne t 1 ai pas entendue sortir... Et voilà que je sens tout à coup deux bras qui s'enla- cent autour de ma taille, un baiser de feu qui s'imprime sur mon cou, sur mes épaules... — Si c'est possible! interrompt madame Duvercourt, les yeux flamboyants. — Je tourne vivement la tête... c'était le marquis de Pons!.. Je veux m'enfuir, je veux crier !... mais il m'enferme dans ses bras con- vulsifs, il appuie sa main avec force contre ma bouche, pour m'empêcher d'appeler.... ma mère' et ce n'était point encore assez d'où- 138 LA IMM I I trages!... il passe à mon doigt une bague en diamant, que j'arrache avec indignation, que je lui jette à la face!... — Une bague en diamant ? petite sotte, il fallait toujours la prendre! — Oh ! ma mère, non, tu ne penses pas ce que lu dis? s'écria \ivement Flora. Cette ba- gue, je l'aurais plutôtbrisée sous mes pieds!... Mais je ne pouvais faire un mouvement... j'é- tais comme enchaînée dans ses bras... et si tu savais, ma mère.... Oh! non, continua-t-elle en rougissant, je veux me taire... c'est assez parler de cet homme! je ne prononcerai plus jamais son nom! Mais qu'il n'ait pas l'audace de reparaître devant moi, je le traiterais comme un misérable, comme un lâche! En parlant ainsi, Flora était en proie à la plus violente agitation ; ses grands yeux noirs, ordinairement si doux, si veloutés, lançaient des flammes ; et ses lèvres pâles et tremblantes aux oeufs d'or. 4 39 se contractaient avec amertume. Jusqu'alors madame Duvereourtavait hésité de croire à la révélation de sa fille; tant de hardiesse et d'impertinence lui paraissait im- possible de la part d'un homme bien élevé comme le marquis. Mais à voir le trouble et la douleur de Flora , à l'entendre , madame Duvercourt ne pouvait plus douter. — Ah I ah! dit-elle, le visage pourpre de colère, c'est comme ça ! le marquis fait des siennes en mon absence, et il s'imagine que la vertu de ma fdle ne vaut qu'une bague en dia- mant! Bon! bon! à merveille, petit! Je t'at- tends à la besogne !... Je me charge, moi, de te donner une danse un peu soignée!... Qu'il vienne! qu'il vienne! Je vais apprêter mon manche à balai !... — Non, ma mère, non, je t'en conjure pas d'esclandre, pas de scandale!... Il est plus convenable de nous taire... Bornons-nous seu- 1 40 i \ poi il lement à ne plus le recevoir, mais évitons les scènes... Cet homme est puissant, il a beau- coup de crédit, et après avoir été insultées, nous serions encore ses victimes... — Ne t'agite pas, mon enfant , répondit madame Duvercourt, en secouant la tête et se frottant les mains. J'ai mon idée, sois tran- quille... Tout ira pour le mieux. Allons, ne t'avise pas surtout de pleurer, tu serais laide demain soir, tu aurais les yeux rouges... Son- ge que tu chantes au concert. — Oui, maman, je vais prendre un peu de repos, j'en ai besoin... La vue de cet homme et son incroyable audace m'ont toute boule- versée... j'ai failli étouffer de colère et d'in- dignation. Madame Duvercourt embrassa sa fdle, et l'une et l'autre passèrent dans leur chambre à coucher. Flora ne dormit point; elle avait la fièxre. AUX OEUFS I'OK. i \ \ Enfin , après une longue insomnie, ses yeux s'appesantirent; mais toujours à demi-éveil- lée, elle fui jusqu'au malin agitée par des rêves inquiets et confus. La figure sardonique et mena- çante du marquis semblait rire auprès d'elle; il cherchait à la saisir , à l'étreindre quand tout à coup apparaissait un jeune homme, au visage doux et rêveur ; ce jeune homme avait l'air de proléger Flora, de la défendre... C'é- tait Gustave Valory. Ce nom fui le premier qui s'échappa des lè- vres de Flora, quand ses yeux se rouvrirent ; elle pensait à Gustave, elle croyait le voir en- core et l'entendre. Vers onze heures du matin, Flora, pâle et frissonnante, était assise devant le feu, la lête penchée sur une main, le coude appuyé sur le bras de son fauteuil. Soudain la porte s'ouvre le marquis paraît. XII. LE MARQUIS DE PONS. Flora ne peut retenir un léger cri de saisis- sement. Elle se lève vivement de son fauteuil, et veut sortir de la chambre le marquis de Pons, souriant, mais pâle, se place devant la porte comme pour barrer le passage à Flora. 144 ! A VOl II En même temps, il se confond en saluts gra- cieux, et cherchée lui prendre la main. — Vous ici! vous, monsieur! s'écrie Flora d'une voix étouffée, en retirant sa main avec une expression d'horreur, je ne vous aurais pas cru si hardi ! — Dites plutôt si amoureux, si fou , belle Flora... — Oh! pas de fadeurs, Monsieur le marquis, elles ne sont plus de saison. Maintenant, je vous connais, je sais qui vous êtes. . . — Eh bien ! Flora, interrompit le marquis avec tendresse, vous savez - alors tout ce que je souffre! Vous savez combien je suis mal heu- heureux ! — Assez, monsieur. Ne jouons pas la co- médie, je vous en conjure... nous ne sommes pas ici au théâtre... — Non, Flora, non, et je m'en félicite... car au théâtre on n'est jamais seul, on n'est ja- aux oeufs d'or. 145 mais libre. . . partout des témoins jaloux et cu- rieux, des regardsindiscretsqui nous épient... Et n'est-ce pas une honte, ma belle Flora? je suis forcé alors de vous parler de la pluie et du beau temps, de vous parler musique, opéra, que sais-je encore?. . J'en bouillonne de rage et d'amour! Mais ici, charmante entre les charmantes, ce n'est plus la même chose... nous sommes véritablement tête à tête, sans euûcux, ^ans témoins, sans importuns!... Et, se penchant tout à coup sur Flora, il voulut de nouveau lui saisir une main. — Ne me touchez pas, monsieur le marquis! oh! de grâce... Je ne demande qu'à éviter le scandale ; mais si vous m'y forcez, rien ne m'arrête je crie, j'appelle ma mère... — Oh! n'en faites rien, délicieuse Flora... ce serait fatiguer inutilement votre voix douce et charmante on ne vous entendrait pas... — Prenez-y garde, monsieur ! Je vous ré- 146 1 A 1>0ULE pète que j'appelle ma mère. Elle est là... dans cette chambre... je n'ai qu'un mot à dire... — Eh bien! dites-le ce mot, cruelle et di- vine Flora I Peut-être serez-vous après moins rebelle et plus raisonnable. Oui,., quand vous serez persuadée que votre mère ne peut vous entendre, que nous sommes tous les deuxseuls dans votre appartement... — Oh! s'il était vrai... s'écria-t-elle avec un accent d'effroi. Ma mère? ma mère ? viens , accours ! Aucun bruit ne se fit entendre dans la pièce voisine, aucune voix ne répondit à la sienne. — Que vous disais-je, Flora? poursuivit le marquis, avec un sourire de triomphe indéfi- nissable vos cris n'amèneront personne , et votre mère est absente ; elle ne rentrera pas avant une heure, si j'en crois votre femme de chambre qui m'est toute dévouée. Ainsi , croyez-moi, résignez-vous à m'entendre... J'ai aux oeufs d'or. 147 à causer quelques moments avec vous, comme un ami, Comme un frère... Mais Flora ne l'écouiait point; tremblante et pâle, elle murmurait des paroles confuses. — Ma mère..» absente!.. Quoi! m'abandon- ner ainsi!.. Oh ! — Allons, allons, ne vous désolez pas, ma toute belle! dit le marquis d'un air galamment sardonique. Je vous assure que vous m'avez mal jugé... Oui! je vaux beaucoup mieux que vous ne semblez croire!.. Voyons, causons... là, comme de bons amis... — Je ne suis pas votre amie, monsieur!.. — Je lésais bien, hélas! et voilà ce qui me désespère ! Mais n'importe! J'aurai de la per- sévérance, et comme vous êtes aussi bonne que belle, vous ne serez pas toujours impitoya- ble!.. — Oh! cet homme ! s'écria douloureusement Flora, comme il me méprise! Parce qu'il est 148 LA P01 riche et noble! Comme il m'écrase du poids de son orgueil et do sa fortune!,. Mon Dieu! mon Dieu! suis-je assez mal heure ureuse ! — Il ne tient qu'à vous de ne plus l'être, Flora. Vous avez au contraire tout ce qu'il faut pour être enviée. Belle et rayonnante en- tre toutes les femmes... croyez-moi, quand on possède votre talent, votre jeunesse, votre incomparable beauté, si Ton est malheureuse c'est qu'on le veut bien. Voyez toutes vos compagnes, toutes les femmes qui sont au théâtre, elles entendent la vie un peu mieux que vous ne faites. Elles ne cherchent pas comme vous à se dérober au plaisir, aux hom- mages ; elles ne languissent pas follement dans une solitude morne et desséchante ! Non, leur existence estpleinede fête, deluxe et d'amour... Si par hasard elles n'aiment pas, elles se lais- sent aimer au moins!.. Et les plus riches équi- pages, les plus beaux diamants, les plus somp- AUX OEUFS d'or. 149 tueux hôtels, rien ne leur manque ! Elles ont à peine le temps de former un désir qu'il est satisfait déjà. Et ces femmes, elles sont pourtant bien loin de vous valoir! Non, aucune peut être ne serait digne de baiser vos pas!.. Ohlsi vous saviezcombien vous êtes belle!.. Combien je vousaime!.. Flora, si vous vouliez?... — Monsieur, permettez-moi devons le dire, interrompit Flora d'un accent fier et digne, vos procédés à mon égard ne sont pas ceux d'un gentilhomme ; votre conduite n'est pas celle d'un homme d'honneur... — Mademoiselle.... — Non! monsieur, non! Vous m'outragez!., parce que je suis une femme, parce que je suis seule et sans défense! Mais, n'importe! je ne vous crains pas... Je suis forte de ma cons- cience, et je vous dirai, moi, tout ce que j'ai sur lecœur!... Monsieur, vous avez abusé de la confiance qu'avait en vous ma mère, que T. I. 10 150 n POULE nous avions ton les deux!., vous m'avez fait croire hypocritement que 'vous me portiez quelque intérêt; vous m'avez offert vos services, l'ap- pui de votre influence, en prenant le masque de l'amitié... et moi, pauvre folle, je vous ai cru !... Oh ! que j'étais aveugle,et ma mère im- prudente! Non, vous n'avez jamais été notre ami, vous n'avez jamais eu dans l'âme une pensée généreuse , une intention louable !... Vous avez cruellement spéculé sur mon inex- périence, sur ma position fausse, sur l'espèce de réprobation, d'anathème que le monde pro- nonce contre les femmes de théâtre, et, comp- tant sur l'éclat de votre nom, sur votre im- mense fortune, vous avez calculé froidement ce que vous coûterait mon déshonneur!.. — Flora ! Flora... — C'est infâme } vous dis-je ! C'est lâche ! Et dans l'accent, dans le regard de Flora, il y avait une expression de mépris, si amere , AUX OEUFS D'OR. 151 si poignante, que le marquis de Pons , blessé au vif dans son orgueil de grand seigneur, se mordit les lèvres avec un dépit mal étouffé. — Pardieu , mademoiselle Flora , dit-il, en se croisant les bras sur la poitrine , je ne vous ai jamais vu tant de verve, tant d'action dra- matique ! Vous disiez tout à l'heure que nous n'étions pas au théâtre... mais franchement, je serais tenté de croire que nous y sommes!.. Par malheur c'est de la tragédie, et je vous préfère de beaucoup dans l'opéra... — Eh bien! monsieur, vous pourrez m'y en- tendre plus d'une fois encore, peut-être,... mais ailleurs que chez moi !.. Vous m'obligeriez fort maintenant de vouloir bien me laisser seule... Et ce disant, Flora, les yeux brillants d'in- dignation, les sourcils contractés, les lèvres blanches et frissonnantes , fit quelques pas vers la porte. — Ah! ah ! vous le prenez sur ce ton, ma- 15 k 2 LA POVLK demoiselle ! s'écria le marquis, en secouant la tête et se tenant debout contre la porte. Eh bien ! je ne demande pas mioux ! Vous ai- mez, je le vois, les discussions, la lutte ; et moi je ne les déteste point ! Ecoutez-moi donc je vais avoir l'honneur de vous parler sans fard , sans le moindre détour. Avant de vous décla- rer la guerre , je dois, en qualité d'ancien ami, je dois vous faire voir le péril auquel vous vous exposez de gaîté de cœur , sans la plus légère nécessité... Vous savez, n'est-ce pas , que j'ai quelque influence à la direction des Beaux-Arts,par conséquent dans l'administra- tion de l'Opéra?. .Quand je parle, on m'écoute. .. Et s'il m'est très facile de faire doubler desap- pointements, je n'ai pas plus de peine à les empêcher de croître d^n centime. Quant aux journaux, ma chère demoiselle, je ne vous en dis rien. . . les éloges et le blâme sont dans ma bourse; et six mois, pas davantage, me suffi- AUX oeufs d'or. 153 raient pour démolir Pasta ou Malibran. Ainsi donc réfléchissez, je vous en conjure, avant de me réduire aux hostilités. — Faites, monsieur, faites, répondit Flora dédaigneusement. Vos attaques me seront moins odieuses que votreprotection; je les pré- fère!.. De vous je n'attends que le mal, et je me résigne !.. — Vous me défiez!.. Oh! Flora , prenez-y garde! Il en est temps encore ! Tant que je n'aurai pas quitté cette chambre en ennemi , vous n'avez rien à craindre de moi ! • — Je ne crains rien, monsieur, rien que vo- tre présence! Oh ! c'est le plus cruel supplice que vous puissiez m'infliger! —Vraiment, Flora, j'ai pitié de vous, répli- qua le marquis, avec un air de compassion railleuse. Vous êtes une enfant, vous ne savez pas ce qui vous menace ! . . . Mais songez-y donc ! J'ai des amis puissants, des amis partout!... 15 ï la rouLi; Jen'aiqu'un motà dire, et vous êtes perdue!... Pour vous plus d'avenir, plus de gloire... Tous les théâtres vous sont fermés!... II vous faudra quitter la France !..et mon inimitié, ma ven- geance vous poursuivront jusque sur la terre étrangère... Pardon, oh! pardon! ce que je vous dis,c'est horrible!.. Mais je vous aime!... L'amour est mon excuse ! . . . Oui, vous êtes ma seule pensée , mon rêve!,.. Votre image me suit partout. . . Il faut que vous m'aimiez ! ... Je ne puis vivre plus long temps avec votre in- différence !... — Mon indifférence?... Oh! monsieur, vous confondez... C'est mon mépris que vous vou- lez dire ! — Vous cherchez tous les moyens de m' exas- pérer, Flora!... Mais n'importe! Je vous par- donne! Je sens que mon amour est plus fort que ma colère... En vérité , vous n'êtes pas raisonnable, et vous êtes bien ennemie de vous- aux oeufs d'or. 155 même !... Pour vous, je suis prêt à tout faire; aucun sacrifice ne m'arrêtera ! Je suis riche et bien posé dans le monde... Vous auriez une vie d'enchantements !... Et au lieu de tous ces plaisirs, au lieu d'une charmante et douce existence ., vous préférez vivre seule, triste- ment, comme une recluse, et tremblant tou- jours sous le despotisme d'une femme aca- riâtre et vulgaire, qui vous exploite, qui vous traite comme une enfant , comme une esclave ! Yous, Flora, vousl... — Et de qui prétendez-vous donc parler , monsieur le marquis? interrompit Flora, en relevant la tête avec dignité. — Oh ! vous me comprenez , Flora... je vous parle d'une femme qui se dit votre mère; mais c'est impossible! Non, vous n'êtes passa fille... — Monsieur , monsieur, assez ! N'insultez que moi... Épargnez ma mère ! 150 I-A PÔUJLB Aussitôt une voix furieuse, un bruit de pas se fit entendre dans la chambre voisine; la porte s'ouvrit violemment , et madame Du- vercourt parut, les joues pourpres de colère, les prunelles flamboyantes. Le marquis de Pons, qui était loin de s'at- tendre à cette brusque apparition , fit deux pas en arrière. — Ah! ah! ah! voilà donc comme vous traitez les absents ! monsieur le gentilhomme, dit madame Duvercourt,une main sur la hanche, en secouant la tête d'un air de menace. — Ma mère ! ma mère ! Oh! c'est toi, quel bonheur ! s'écrie Flora , en se réfugiant toute frémissante dans les bras maternels. Le marquis, malgré son aplomb et son as- surance habituelle, demeuraitdécontenancé ; l s'efforçait de rire, mais on voyait bien que ce rire n'était qu'un masque, une impuissante bravade. AUX oeufs d'or. 157 — Oui, je vous y prends, mon bourgeois î poursuivit madame Duvercourt, en gardant son attitude belliqueuse et formidable. Vous donniez-là de jolies leçons de morale à ma fille? mais vous en êtes pour vos frais... On ne veut pas de vos diamants, de vos équipages ! Vous nous prenez pour d'autres!... Allez! allez! monseigneur! Flora Duvercourt ne sera jamais votre joujou !.. il n'en manque pas dans les coulisses de l'Opéra... cherchez, il y a du choix, mon petit ! mais pas chez nous !.. On n'est pas à vendre !.. Le marquis aurait bien voulu parler ; mais il lui était impossible d'intercaler une syllabe au milieu du torrent de paroles qui tombait à larges flots des lèvres de madame Duver- court. — Ah oui-dà ! mon jeune marquis, reprit la vieille,en élevant son diapason, vous ne croyez pas ma fille digne de vous épouser? ça vous en^ 158 LA l'OULE canaillerait ? Bon soir! bon soir !.. Allez donc un peu faire un tour de promenade où nous ne sommes pas! Et puis, si vous m'en croyez, vous irez chercher fortune ailleurs... Vous ôtos li- bre, on ne vous retient pas... Voici la porte ! — Insolente! s'écria le marquis, en levant sa canne. — Pas de gestes, mon prince! .. Ou bien on appelle lesvoisins... et vous pourriez descen- dre plus vite que vous n'êtes monté !.. Et comme le marquis, furieux, les lèvres blanches et contractées, allait peut-être se li- vrer à quelque violence , madame Duvercourt ouvrit brusquement une petite fenêtre qui donnait sur uncorridor, puis elleappelade tou- tes ses forces Jean! Pierre! Mathieu! Nicolas! presque tous les noms plébéiens du calendrier. Le marquis de Pons, craignant de se compro- mettre avec d^ndignes adversaires, qui n'au- raient pas un fort grand respect pour son nom AUX oeufs d'or. 159 aristocratique, le marquis de Pons se dirigea vers la porte, en jetant à madame Duvercourt quelques phrases de mépris. C'est alors que le gentilhomme se ren- contra face à face avec Gustave sur le palier de l'appartement. XIII. LEQUEL DES DEUX ? Quelques jours après, deux jeunes gens, mis avec une extrême élégance, déjeunaient au Rocher de Cancale. Le vin de Champagne coulait abondam- ment, et les propos joyeux et libres jaillis- 162 là POULE saient comme la mousse de ce nectar inspira- teur. L'un des deux convives buvait surtout avec une espèce d'acharenent .Leurs verres s'emplissaient et se vidaient comme par miracle à chaque instant ils faisaient venir une nouvelle bouteille de Champagne frappé. — A la bonne heure, mon cher marquis! dit l'autre convive en battant des mains. Voilà ce qui s'appelle avoir de la verve ! Tûdieu ! quelle facilité ! quelle habile et rapide ingur- gitation !.. Je ne te croyais pas d'une pareille force ! — Ah ! ah ! mon cher vicomte , c'est que j'ai du chagrin, vois-tu ! — Toi?... par exemple! Et le vicomte de Thorigny poussa un bru- yant éclat de rire. Le marquis de Pons resta fort sérieux ; et se versant de suite trois verres de Champagne , il les but en moins de trois secondes. AUX oeufs d'or. 163 — Voyons ! reprit le vicomte quel est donc ce beau sujet de tristesse? Pardieu ! je serais curieux de le connaître... Je ne te croyais pas capable d'engendrer de la mélancolie... — Oh ! sois tranquille, vicomte, je la noie- rai bientôt dans mon verre !... C'est une idée, un enfantillage... Mais cela passe... Tiens, si tu veux, il faut nous distraire?... — Volontiers! moi , je suis toujours prêt.. Tu sais qu'en général, j'ai l'avantage d'être un assez bon vivant ! Je ne faiblis jamais... surtout quand il s'agit de plaisirs, d'élégantes fredaines... pourvu toutefois que ma délica- tesse ne coure pas le moindre risque, et que je puisse m'amuser comme un diable, sans faire la plus légère peccadille contre l'hon- neur ! — Oui , je sais, Thorigny , que tu es fort scrupuleux, fort susceptible en matière d'hon* 164 ï X POULE neur ! répliqua le marquis avec un sourire qui n'était pas exempt de sarcasme. Même au collège, tu étais, je m'en souviens, le plus mauvais sujet de la classe ; mais tu n'avais pas ton pareil pour la droiture et la déli- catesse Le vicomte regarda un instant le marquis, avec un certain air de défiance il fronça même légèrement les sourcils, et ses lèvres se contractèrent un peu ; mais ce mouvement fut à peine saisissable. Le marquis de Pons n'y fit probablement pas attention. — Ainsi donc, mon pauvre de Pons , tu es en train de broyer du noir ? Que diantre ! explique-moi donc l'affaire ! — Non, vois-tu, non, Thorigny... Tu rirais de moi... Ou bien, je te connais, avec tes beaux discours, tu dirais que j'ai tort ! — Pourquoi cela , mon cher ? Tu me crois Jonc bien systématique, bien pédagogne ? aux oeufs d'or. 165 — Non , Thorigny , non, je sais que tu es un brave garçon et que tu as quelque amitié pour moi. Mais n'importe, il faut absolument que tu joues le rôle de Don Quichotte, que tu protèges le faible et l'opprimé, comme lu dis toujours... Et si tu allais répondre à ma confi- dence par ce refrain habituel tu n'as , mon cher, que ce que tu mérites,» je sens que mal- gré moi j'aurais la tentation de te chercher querelle, de t'envoyer à tous les diables ! — Tu aurais tort, mon ami ! répondit gra- vement le vicomte, car je crois être ordinai- rement un assez juste appréciateur des choses, et quand je dis ceci est bien, ceci est mal, » tu peux me croire ! — Corbleu ! Thorigny, il faut avouer que tu ne manques pas d'amour-propre... ni d'a- plomb. Toi qui tranches du Lycurgue , du Solon, du Socrate, on pourrait bien, avec un peu de complaisance, on pourrait bien trouver T. I. 11 166 LÀ POULE dans la biographie quelques pages, ou du moins quelques paragraphes qui ne sont guère orthodoxes. — Que veux-tu dire? Diable m'emporte si je te comprends ! — Au fait, j'en conviens, vicomte, je pour- rais être un peu plus clair et plus catégorique; mais, pour le moment, c'est inutile. Revenons à notre affaire , c'est-à-dire à ïa mienne Je te parlais de ma tristesse, et tu voulais en sa- voir la cause. Mon cher Thorigny, je vais Cou- vrir mon cœur... Pour toi je n'ai rien de ca- ché... J'ai besoin de tes conseils; mais surtout, mon cher, de ton assistance ! — Quel ton grave et solennel , marquis ! C'est comme le début d'un mélodrame!... Voyons, parle! que je voie un peu si tu as le Champagne triste ou gai... — AhîThorigny, maintenant tu plaisantes! Peut-être crois*iu que je plaisante aussi moi» AUX OEUFS d'or. d 67 même? Mais non, tiens , si je ris, c'est avec amertume , c'est du bout des lèvres , comme on dit... Mon cher, imagine-toi que je suis amoureux! — Toi, de Pons? — Oui, moi-même... et cela doit te paraî- tre anormal et bizarre. Tu dois presque me croire malade ou fou !... Je suis l'un et l'au- tre , peut-être... C'est fort possible... Mais ce qu'il y a de plus certain encore, c'est que je suis amoureux ! — Oh î pour le coup , marquis , je n'en doute plus ; tu viens d'avoir une intonation si tragique, un regard si fatal, que je lis très clairement ce qui se passe au fond de ton cœur... Tu aimes quelque femme mariée; la femme d'un ami , sans doute... Mais le devoir t'arrête; il y a comme une barrière insurmon- table entre vous deux... La barrière de l'hon- neur I 168 iv POULS — Non, Thorigny, tu n'y es pas; la femme que j'aime n'est pas mariée, elle est libre... et de plus, elle est charmante! Dix-neuf ans, une taille de sylphide, une figure d'ange \ Une voix... Ah! mon ami, c'est irrésistible! Il faut absolument perdre la tête!... — Et tu l'as perdue, mon pauvre garçon, je le vois... Car, enfin, si tu n'avais pas le cer- veau quelque peu malade, tu prendrais les choses beaucoup moins tragiquement... Que cetle divine créature soit encore plus divine, je le veux bien; qu'elle ait toute la beauté, toute la grâce , tous les mérites en partage... Qu'importe? Est-ce une raison pour le déso- ler, comme si jamais tu ne devais réussir? Eh ! mon cher, quand on est riche et tourné comme toi, quand on se nomme le marquis de Pons, on ne trouve pas longtemps des cruel- les !... Que ton ange soit un petit démon pour la coquetterie, qu'elle te fasse enrager de tou- aux oLiis d'or. 169 tes manières , qu'elle ne veuille pas que les choses marchent trop vite , c'est encore très possible, et je ne la désapprouve pas ; mais tu sens bien qu'un jour ou l'autre elle finira par t'aimer, par t'aimer comme une folle... et lu seras dix mille fois plus heureux pour avoir attendu!... Voilà, mon cher, voilà ma mo- rale; tu vois qu'elle n'est pas si morose et si pédante ?... J'ai la conscience même furieuse- ment large... quand je n'ai pas à transiger avec l'honneur ! Qu'on aime , qu'on séduise , qu'on enlève une jeune fille... c'est très fai- sable^ la délicatesse n'en souffre nullement... si toutefois la jeune personne n'était pas sous votre garde... Si, par exemple, vous n'avez pas abusé de la confiance et de l'hospitalité. — Bien, bien, voici maintenant les réfle- xions qui commencent! Je te vois venir... — Est-ce que par hasard j'aurais touché juste sans le vouloir? 170 i A roi LE — Oh pas précisément, Thorigny... — Mais encore?.,. — Écoute; voici Y affaire la personne que j'aime est d'une beauté merveilleuse, comme je te disais tout à l'heure; certes, il n'y a pas une femme du monde, au moins je n'en con- nais pas une, qui la vaille... — Ah ! ah ! j'y suis, mon brave de Pons ta sylphide n'est pas du monde, et tu crains que l'aventure ne s'ébruite, tu crains de prêter le flanc aux médisances, si jamais on vient à savoir que tu es amoureux d'une petite fille de rien. — Non, vicomte, ce n'est pas ce qui m'in- quiète. Je t'assure qu'il n'y a pas à rougir.... au surplus, la personne en question, tu la connais parfaitement, tu la vois presque tous les soirs... d'un peu loin, il est vrai; et tu m'as répété cent fois qu'elle est adorable, — Bon, bon, je commence à deviner ta AUX OEUFS DOR. 171 déesse est une actrice, quelque fille d'Opéra !. — Eh bien, oui, mon cher!... et voilà ce qui m'irrite, ce qui m'afflige, ce qui m'humi- lie... Croirais-tu qu'après six mois de cour j'attends encore l'heure du berger. — Bah ï c'est incroyable ! — C'est pourtant comme j'ai l'honneur de te le dire, vicomte ! Je n'ai rien épargné, je te jure, ni les cadeaux, ni les couronnes, ni les applaudissements en plein balcon!.. J'ai ob- tenu pour la belle un engagement superbe, j'ai payé certains articles de journaux jusqu'à vingt-cinq louis, j'ai fait écrire des Opéras, poëmc et musique, tout exprès pour elle!... Enfin, mon ami, je puis te le dire et cela en toute franchise, jusqu'à présent cet amour là me coûte plus de vingt-mille francs ! — Eh bien ! de Pons, tant pis pour toi ! dit le vicomte d'un ton sentencieux. Puisque tu paies... tu n'as que ce que tu mérites.. 172 la roi il — Ah ! je savais bien que tôt ou lard nous aurions le refrain de la chanson. Du reste, il faut te dire, pour être juste , que cette char- mante enfant n'est pas le moins du monde in- téressée; elle ne m'a jamais rien demandé bien plus, elle a toujours refusé mescadeaux. C'est la mère qui ne refuse pas, elle!... Cette vieille fée prend de toute main. — 11 y a donc une mère?... demanda vive- ment Thorigny avec une expression de curio- sité inquiète. — Oui, vicomte, et une mère comme on n'en voit pas souvent, même au théâtre. Figu- re-toi le type des mères d'actrice passées , présentes et futures ! Je n^ai rien vu de plus grossier, de plus sordide, déplus ignoble que cette vieille femme qui, pareille au dragon de la fable, veille nuit et jour depuis quinze ans sur la vertu de sa fdle... — Tu es étrange , interrompit le vicomte aux oeufs d'or. 175 d'un air grave. Quoi! tu no veux pas môme qu'une mère défende l'honneur de sa fille?.. — Pour Dieu, vicomte, pas de phrases! Je te dispense volontiers de ta morale. Non, mille fois non, je ne conteste point ce droit à une mère... Mais du moment que cette mère n'est plus qu'une abominable duègne, une espèce de marchande qui ne voit dans la beauté , dans l'honneur de sa fille qu'une somme d'ar- gent considérable, qu'une fortune sur laquelle il faut toujours avoir les yeux... Alors, je t'en fais juge, ne peut-on, sans manquer à la dé- licatesse', ne peut-on jouer au plus fin avec cette horrible mégère , et voler le trésor, sauf à le payer ensuite généreusement?... — Mon cher de Pons, j'attends, pour te dire ma façon de penser , nette et sincère, que tu veuilles bien t'expliquer avec plus de fran- chise ou de simplicité. D'abord je désirerais 174 la POUtE savoir le nom des personnes à qui tu as af- faire? — Eh bien! soit. Tu connais Flora Duver- court... — Flora Duvercourt! interrompt le vicomte, frappé de stupeur. — C'est elle que j'aime , c'est elle que je veux avoir... — Mais tu ny penses pas, mon cher de Pons! ajoute Thorigny avec une étrange vivacité. Flora Duvercourt a beau être actrice , elle a toujours mené une conduite irréprochable. C'est une jeune fdle, pure et honnête, au no- ble cœur, aux sentiments élevés!... Je suis bien sûr d'avance qu'elle ne cédera jamais à d'ignobles calculs , à des vues intéressées tu peux me croire... Sans la connaître intimement, j'ai pu me convaincre en différentes occasions que Flora Duvercourt est une belle et géné- reuse nature, que le souffle empesté du théâtre aux oeufs d'or. 1 75 ne corrompra jamais. Au surplus, tu peux en juger par toi-même, certes, depuis deux ans, les hommages et les adorations ne lui ont pas manqué ; elle a pu voir à ses genoux tout ce que Paris a de plus riche , de plus noble , de plus élégant , et la calomnie elle-même n'a pas trouvé de quoi mordre la réputation de Flora est toujours restée la même, toujours pure et intacte... — Parbleu , Thorigny , comme tu parles chaleureusement de Flora ! Est-ce que , par hasard, tu serais aussi amoureux d'elle?.. — Non, mon cher, balbutia le vicomte d'un air embarrassé; mais je lui rends justice!... c'est une femme charmante, une adorable vir- tuose, et je l'admire !.. Quant à moi , j'ai tout lieu de croire que Flora Duvercourt n'aura jamais d'amant. — Bah ? c'est ce que nous verrons. — Elle veut se marier, sans doute, se bien iHi roi i i marier, faire une alliance honorable; et je trouve qu'elle n'a pas tort!... — Ah! tu trouves, magnanime Thorigny ?.. Eh bien, mon cher, moi, je pense différem- ment. Je ne connais rien de plus absurde, de plus excentrique, de plus immoral, que le ma- riage au théâtre; les acteurs, surtout les ac- trices, ne doivent jamais songer à pareille folie. D'abord, le sacrement leur ôte toute leur verve, tout leur talent; c'est pitoyable! Je parie que Flora, mariée, n'obtiendrait plus le moindre succès. — Tu crois, de Pons? Et dans cette question du vicomte, il y avait comme une intention mystérieuse, indéfinis- sable. — Ce qu'il y a de certain, reprit de Pons avec un sourire dédaigneux, c'est que je tiens beaucoup trop à l'avenir musical de Flora , à aux oeufs d'or. 177 ses triomphes, à sa voix enchanteresse, pour avoir la folie de l'épouser!.. — Que dis-tu, de Pons ? — Je dis que la mère de celte petite fille s'était mis dans la tête une idée si burlesque, si étrangement cornue, que c'est presque fabu- leux. Croirais-tu que la vieille Duvercourt avait songé très sérieusement à me prendre pour gendre?.. Ct { aveu parut faire sur le vicomte une sou- daine et profonde impression. — Oui, vicomte, oui, poursuivit de Pons en riant d'une manière forcée. Maman Duver- court n'avait pas de moindres prétentions !.. Tu m'avoueras que c'est drôle, et qu'il faut avoir assez bon caractère, pour ne pas s'en fâ- cher?.. Néanmoins, comme j'ai lieu d'être fort mécontent, comme je n'ai jamais souffert qu'une femme, laide ou jolie, vieille ou jeune, se moquât de moi, j^ai compté sur ton aide, 178 LAPOÏTE AIX OEIFS D'oi\. sur ton amitié, pour accomplir à nous deux un certain projet... — Et quel est-il , ce projet? demanda le vi- comte en prenant un visage froid et sévère. J'espère bien, si tu veux que je te seconde, j'espère bien que ce projet est parfaitement avouable , qu'il est compatible avec l'hon- neur?.. — Tu en jugeras, vicomte... mais viens, ce n'est point ici que je veux te faire ma confi- dence. Il faut auparavant que je consulte une autre personne... viens. Et les deux jeunes gens sortirent bras des- sus bras dessous du Rocher de Cançale. XIV. UN CLOU CHASSE L'AUTRE. Quelques jours après cette conversation, les deux camarades de collège, les deux compa- gnons de plaisirs, étaient comme brouillés en- semble. Personne n'aurait pu soupçonner la cause de cette brusque rupture; mais il était 180 POU! I bien évident qu'une aigre et violente discus- sion avait eu lieu entre le marquis de Pons et le vicomte de Thorigny. Le marquis était moins assidu que d'ordinaire au balcon de TOpéra. Quant au vicomte, il ne manquait pas une seule représentation lorsque Flora chantait, à la fin de chaque morceau, à chaque point d'orgue, il déployait un enthousiasme extraordinaire; et, battant des mains à rompre ses gants-paille, il se pâmait avec une exalta- tion des plus fougueuses, des plus excentri- ques. Ses applaudissements étaient si furieux, que le parterre et les loges le contemplaient avec surprise ; et, sans la toilette brillante et recherchéedu vicomte qui, du reste, était par- faitement connu, on aurait pu le prendre pour un applaudisseur à gages, qui s'était mis au balcon afin de produire un plus grand effet. Gustave venait aussi fort exactement à l'O- péra ; et son enthousiasme, quoique moins dé- AUX OEUFS T>'0R. 181 monstratif et de meilleur aloi que celui du vi- comte, aurait fait honneur encore à un vérita- ble dilettante. Plusieurs fois madame Duvercourt avait re- marqué les applaudissements sonores et fas- tueux du vicomte de Thorigny , et pleine de reconnaissance , joyeuse et fière , elle s'était bien vite empressée de raconter à sa fille l'effet prodigieux qu'elle avait produit sur Y illustre jeune homme c'est ainsi que madame Du- vercourt appelait le vicomte . Flora, bien qu'elle fût en général d'une grande modestie, aimait pourtant les homma- ges qui s'adressaient à son talent de canta- trice et de tragédienne aussi, lorsqu'un soir elle rencontra sur le théâtre M. de Thorigny, ce fut d'une manière toute gracieuse, avec le plus aimable sourire, qu'elle répondit à ses compliments exagérés. Le vicomte, qui joi- t. i. 12 \H'2 Là P01 i i gnait à une extrême souplesse de caractère , un eapril vif et pétillant, n'eut pas k peine à séduire madame Duvercourt à force d'éloges et de cajoleries ; et, sans qu'il eût même be- soin de réclamer la faveur d'être admis chez Flora , la vieille mère le pria de venir le plus souvent possible. Cependant Gustave n'ignorait pas que le marquis de Pons n'allait plus chez madame Duvercourt ; mais le marquis s'était bien gardé de lui dire la véritable cause de cette brouille, et Gustave pouvait croire que l'étrangelé seule de madame Duvercourt, et ses naïvetés parfois un peu grossières, avaient éloigné pour quel- que temps de sa maison un homme aussi haut placé que le marquis de Pons. Celui-ci avait son projet , et ce n'était pas sans raison qu'il avait amené Gustave chez Flora» Bientôt le marquis , ne pouvant réussir à AUX OEUFS DOR. 183 pénétrer dans la maison de madame Duver- court , crut devoir s'absenter pour quelque temps, ain de se faire regretter et rappeler peut-être. Il partit pour un voyage de plu- sieurs mois, disait-il des affaires de famille, des intérêts fort compliqués exigeaient sa présence dans le midi. Gustave, sans trop se rendre compte de ce qui se passait au fond de son coeur, fut secrè- tement enchanté de ce départ, et quoique ce jeune homme 'fût la franchise et la sincérité même , il eût peine à dissimuler sa joie lors- qu'il dit adieu au marquis de Pons. Il ne se passait pas deux jours sans que Valory n'allât faire une visite à Flora, soit chez elle, soit dans sa loge au théâtre. Une douce et fraternelle intimité ne tarda pas à s'établir entre Flora et Gustave. Un lien mys- térieux et sympathique semblait unir ces deux 184 là POl jeunes cœurs l'un n'avait pas un désir, une pensée, que l'autre presque à l'instant même ne les partageât ; tous deux aimant l'art et la poésie, ils avaient une horreur profonde pour tout ce qui est plat, vulgaire et mesquin. Flora devenait chaque jour plus instruite , et trouvait un charme ineffable à entendre Gus- tave lire, d'une voix mâle et vibrante, ces no- bles et impérissables ouvrages, éternel hon- neur de l'esprit humain. Avant de connaître Flora, Gustave ne savait pas une note de musique, et pour lui une par- tition était un livre d'hébreu; mais doué d'une intelligence merveilleuse , d'une organisation poétique et musicale, il s'était rapidement initié aux secrets de L'harmonie, à toutes les difficultés innombrables du solfège. Quelques leçons de Flora, données en jouant , avaient suffi pour accomplir cette espèce de miracle. AUX OEUFS 'OR 185 Mais Gustave ne perdait point de vue ses grands travaux littéraires ; il passait tour à tour de !a nouvelle tragédie au libretto qu'il écrivait pour l'auteur de Robert- le-diab le. Flora, séduite par le rôle admirable qui lui était destiné, pressait chaque jour Gustave, et voulait à mesure lire le travail de la veille. Un mois environ s'écoula. Gustave entrete- nait une correspondancesuivieavec le marquis de Pons qui ne semblait pas disposé encore à revenir. Dans chaque lettre, ce dernier parlait de Flora ; il priait Gustave de a le tenir au cou- rant de tout ce qui se passait chez madame Du- vercourt. Gustaves'était fidèlementacquittédesonrôle de correspondant; il avait raconté au marquis, dans les plus grands détails, tous les nouveaux triomphes de Flora et les progrès miraculeux qu'elle semblait faire chaque jour. Jusqu'alors 18G i a roi ii il avait prononcé à peine , dans ses lettres, le nom du vicomte dcThorigny; non pas qu'il eut précisément un motif pour cacher à M. de Pons les fréquentes visites de cejeune homme et l'accueil empressé de madame Duvercourt; mais craignant de laisser percer quelque ja- lousie, quelque rancune, ou plutôt craignant de nuire à la réputation de Flora, il avait mieux aimé se taire. Enfin, un jour, il reçut unelet- tre beaucoup plus catégorique et plus interro- gative que les autres ; le marquis s'étendait longuement sur le vicomte de Thorigny ; il voulait savoir s'il n'avait pas cherché à s'in- troduire dans la maison de Flora. Gustave , étonné d'une pareille question , évita d'y ré- pondre; mais sa lettre avait quelque chose de vague et d'embarrassé qui dut surprendre le marquis. Un matin , Gustave , brûlant de verve et AUX OEUFS d'or. 187 d'inspiration, travaillait, assis près de sa fenê- tre, aux rayons du soleil levant. Quelquespots de fleurs, rangés sur le rebord de sa croisée , attiraient les papillons et les mouches qui voltigaient et bourdonnaient avec un doux murmure. De temps à autre, quelques moi- neaux effrontés venaient piller avidement les miettes de pain que Gustave, dans sa distrac- tion rêveuse, avait éparpillées devant la fenê- tre. Tout cela formait un assez joli tableau d'intérieur, qu'un peintre n'eût sans doute pas dédaigné. Par moments Gustave, un peu dérangé de son travail par le bruit joyeux des oiseaux, relevait la tête, et regardait avec un sourire toute cette gentille scène, pleine de vie, de bonheur et d'animation. Soudain un coup de sonnette retentit à la porte. — Ah ! bon Dieu, dit-il , en se leva ni avec impatience. Qui peut venir à cette heure? 188 LA POULS M I OEUFS d'or. quelque importun?.. Ma foi je n'ouvre pas... Mais les coups de sonnette recommencent avec plus de force ;et, comme il ne se pressait pas d 1 ouvrir , on frappe violemment à la porte avec le pommeau d'une canne, puis le carrillon devient terrible, incessant. Gustave, arraché si désagréablement à sa méditation poétique , frappe du pied avec colère , sans pouvoir se décider encore a ouvrir; mais, dé- sespérant du silence, il court à la porte. — Que diable ! je ne 'serai donc jamais tranquille! dit Gustave entre ses dents. La porte venait de s'ouvrir un grand jeune homme, mis avec une merveilleuse élégance, entre en se dandinant , une petite canne à la main. Gustave demeure frappé de surprise c'était le marquis de Pons. XV. DIPLOMATIE. — Eh ! mon cher monsieur de Valory,dit le fashionable, en lui secouant la main avec cor- dialité, vous ne m'attendiez guère, je le vois ! et je tombe des nues !.. — En effet... répond Gustave avec une cer- !>0 LA roi i i taino hésitation, je ne complais pas encore sur l'honneur de votre visite... — L'honneur de ma visite? Eh ! allons donc, je vous en conjure, ne faites pas de phrases ! il ne s'agit pas d'honneur et de cérémoniecn- trenous... C'est moi, d'ailleurs, qui suis lier d'être votre ami, fier de venir déranger dans son travail le plus grand poète de notre épo- que ! Une louange si merveilleusement hyperbo- lique, devait surprendre Gustave il regarda un instant le marquis pour s'assurer qu'un pareil éloge n'était point de la dérision. — Oui , mon cher monsieur Gustave, je vous dérange... je vous trouble maladroite- ment dans vos inspirations ; mais pardonnez, moi, de grâce! je n'y tenais plus, je voulais absolument vous voir ! Je descends de voiture; '''arrive à l'instant même.,. AUX OEUFS D'OR. 191 — Mais il y a quelques jours encore, mon- sieur le marquis, votre dernière lettre ne par- lait pas de retour. — Ah î c'est vrai ; et je complais même voyager un peu en Allemagne, dit négligem- ment le marquis. J'aime beaucoup l'Allema- gne, sa poésie brumeuse comme son ciel; ses cathédrales gothiques ; ses femmes blanches, rêveuses et passionnées!... Eh! continua-t-il avec un éclat de rire, excusez-moi, je fais de la poésie descriptive, du romantisme.... et franchement, ce n'est pas mon fort. A vous la palme en ce genre ! Mais descendons un peu de notre nuage , revenons sur la terre... En parlant de la sorte, le marquis de Pons s'était assis dans un fauteuil; et, la tête ren- versée sur le dossier, les jambes croisées l'une sur l'autre, il jouait avec son lorgnon et le faisait tourner dans sa main. Gustave prit un ii2 I A POI II fauteuil et se mit à cote du marquis. Gustave était pâle, sombre, préoccupé c'est qu'il avait beau faire , une réflexion acre et poi- gnante le torturait. — Eli bien! mon cher monsieur Gustave, demanda le marquis, en jetant un regard pro- tecteur sur les paperasses qui encombraient le bureau du poète, avons-nous travaillé un peu? Avance-t-elle enfin, cette fameuse Con- juration de Catilina, celte tragédie que la co- médie Française attend comme le messie? Dites-moi , entrez-vous bientôt en répéti- tion ? — Pas encore , dit Gustave avec indiffé- rence; j'ai à peine achevé mon premier acte. — Bah! bah! est-ce qu'il est possible? Mais vous vous endormez, mon cher! Que diantre ! dans une époque comme la nôtre, où tout se fait au galop, où l'esprit comme le aux oeufs d'or. 193 corps va sur un chemin de fer, vous auriez tort de ne pas vous hâter!... Prenez-y garde, on vous devancera !... — L'espace est libre! répondit Gustave qu'on aille et qu'on marche ! je ne demande pas mieux que d'applaudir au triomphe de mes rivaux... — Oui , oui , vous êtes un excellent jeune homme; une nature généreuse et primitive! Mais c'est égal , croyez-moi , servez-vous un peu plus de vos amis et du charlatanisme l'esprit et le talent, c'est bien ; l'habileté, le savoir-faire, c'est mieux!.. Puis , la conversation roula quelque temps encore sur des questions purement littéraires et presque insignifiantes. Le marquis de Pons avait jelé en avant toutes ces phrasesbanales, comme une espèce de préambule qui devait l'amener insensiblement à ses fins. L-M LA l' — Vous dites donc, reprit-il, en se friSM L la moustache, que maintenant votre princi- pale occupation est ee libretto du Juif-Er- rant ? — Oui, ma foi! je vous l'avoue, et j'en ai presque honte car cela me donne un mal atroce; et je crains, après tant de peine, de ne pas réussir à faire grand'chose de bon... L'O- péra est un genre à part qui veut une main très exercée, une extrême habitude, et j'ai peur de faire un ouvrage d'écolier, une rapsodie absolument indigne de la musique du grand maestro... — Allez , allez toujours , mon cher ! Vous êtes beaucoup trop modeste ; vous ferez , j'en suis sûr, un chef-d'œuvre auprès de tous les opéras passés, présents et futurs!... Et puis d'ailleurs, vous êtes merveilleusement inspiré dans ce travail... Quand vous songez, n'est-ce aux oeufs d'or. 195 pas ? que vos vers seront chantés par une voix adorable , quand vous songez que Flora Du- vercourt... Le marquis de Pons s'interrompit soudain pour observer Gustave celui-ci venait de tressaillir. Gustave fit tout au monde pour détourner la conversation ; mais le marquis la ramenait toujours sur Flora. — Sur ma parole ! disait le marquis dé Pons avec exaltation, c'est une exquise et di- vine créature!... Je ne crois pas, en vérité, qu'il soit possible de la voir trois jours de suite tète-à-têle, ne fût-ce qu'une demi-heure, sans devenir passionnément amoureux d'elle!... Gustave, à son tour, observa le marquis. — Où veut-il en venir? pensa- t-il. — Tenez, mon cher monsieur de Valory, je 196 POULE Ntux vous faire une confidence; je parie que vous êtes à deux mille lieues de soupçonner ce que je vais vous dire... Eh bien! moi, moi, qui, Dieu merci ! connais le monde, qui ne suis pas au berceau, j'ai pris la fuite... oui, comme un lâche, comme un niais, pour ne pas devenir fou!,.. — Je ne vous comprends pas... balbutia Gustave avec un tressaillement. — Eh! je le crois bien, mon Dieu! je ne me comprends pas moi-même! Je veux donc vous dire que je sentais mon cœur s'en aller tout doucement, s'en aller vers cet ange dont vous savez le nom... Sur Thonneur, je n'y tenais plus I — Quoi! monsieur le marquis... dit Gus- tave avec embarras, vous auriez eu cette fai- blesse?... un homme... comme vous? Par- donnez-moi, je vous croyais moins jeune !... AUX oeufs d'or. 197 — Eh! Eh! Eh! Je le suis loujours un peu, mon cher! Mais c'est égal, vous voyez que la raison a le dessus... Oh ! parbleu, je n'ai pas voulu succomber; et je vous jure bien que j'aurai de la force... J'ai réfléchi... Certaines choses, qui autrefois auraient pu me séduire, ne sont plus, maintenant, possibles!... Je suis l'aîné de ma famille; je suis esclave de mon nom, de mon rang; et vous concevez-bien, n'est-ce pas ?. . . Il est inutile que je m'explique davantage... En outre, depuis trop longtemps je connais mademoiselle Flora Duvercourt, et je sais parfaitement que ce n'est pas une femme avec laquelle on pourrait engager une liaison banale et sans conséquence... — En effet, monsieur le marquis, dit Gus- tave solennellement, mademoiselle Duvercourt mérite à tous égards la considération et le respect! Je vous estime trop pour vous croire T. 1. 13 198 LA P01 i i un instant capable d'agir, envers cette jeune personne , autrement qu'en homme d'hon- neur... — Certes, mon cher monsieur de Valot . Mais je ne voudrais pas non plus qu'un autre vînt s'emparer de ma position..» Oh! je ne vous le cache pas, je serais cruellement mor- tifié, et je me repentirais presque de nia déli- catesse, qui ne serait plus alors qu'une niai- serie!... Vous savez tout l'intérêt que je porte à Flora Duvercourt?.. j'ai fait jusqu'ici tous mes efforts pour lui être utile c'est moi qui l'ai mise en relief dans le monde musical. Je l'ai fait engager à l'Opéra j j'ai trouvé le moyen de lui avoir des rôles magnifiques; et si vous la connaissez maintenant, si vous travaillez pour elle, vous, notre grand poëte ! c'est à moi seul qu'elle en est redevable. — J'en conviens, dit Gustave avec étonne- AUX oeufs d'or. 199 ment, car il ne savait pas et ne pouvait com- prendre ce qui se passait dans l'âme du mar- quis de Pons. Mais pourquoi ce langage? vous n'avez pas, je suppose, à vous plaindre de mademoiselle Duvercourt? Elle ignore ce que c'est que l'ingratitude.. . — Je l'espère, monsieur Gustave, interrom- pit sèchement le marquis de Pons. Mais, à vrai dire, les apparences sont maintenant con- tre elle!... — Gomment donc? Veuillez vous expli- quer.... — C'est inutile... Et d'ailleurs, je suis peut- être injuste. Je veux bien croire qu'elle n'est pour rien dans certaines choses qui m'ont cruellement blessé... Sa mère est une étrange créature, grossière, mal élevée , affreusement 4 200 LA POULE hétéroclite... Et je ne dois pas en vouloir à Flora, jusqu'à plus ample explication, de Tac- cueil bizarre qu'il a plu à madame Duvercourt de me faire un matin... — Oui, je me rappelle, dit Gustave avec con- trainte c'était une scène fort désagréable... pour moi-même, je vous assure! Et je n'ai ja- mais su le motif d'une pareille altercation... — Ah ! jamais? Véritablement? — Jamais. Madame Duvercourt voulait tout me dire ; mais sa fille l'en a empêchée. — Eh bien ! je n'aurai pas cette réserve, moi . Soyez tranquille, mon cher monsieur Gustave vous saurez tout dans les plus minutieux dé- tails, et bientôt... Quanta présent, tout ce que je vous demande, c'est de venir faire ensemble un tour de promenade; et puis, nous irons chez Flora... AUX OEUFS 1'0R. 201 — Très volontiers , dit Gustave. Mais ne se- rait-il pas d'abord plus convenable que nous fissions prévenir ces dames de votre arrivée ? — Non, non, pas du tout, au contraire. D'ailleurs , je veux éviter les explications pour le moment... Si je voyais Flora seul, ou ma- dame Duvercourt, je pourrais me plaindre un peu trop rudement, peut-être! Mieux vaut que l'entrevue ait lieu en votre présence vous serez, vous Gustave , un maintien de part et d'autre, un médiateur... — Mais encore , m'apprendrez-vous quel mystère... — Oui, mais plus tard... Tenez , tout-à- l'heure en nous promenant... Qu'il me suffise de vous dire, mon cher monsieur, continua le marquis d'un air sombre, que je pourrais me trouver face à face chez Flora Duvercourt 202 LA POULE AUX OEUFS D'OR? avec un homme qui tôt ou tard sentira mon épée ! . . — Que veut-il dire?... pensa Gustave. Cet homme, serait-ce le vicomte de ïhorignv ? En vérité, mon cher monsieur de Pons, reprit-il avec un sourire forcé, vous êtes avec moi d'un mystérieux!... C'est étrange, mais vous ne vous exprimez qu'à la manière des sibylles... — Vous dites-là plus vrai que vous ne pen- sez peut-être! Répondit de Pons en fronçant le sourcil. Et bien que je ne sois ni prophète, ni sibylle, je pourrais vous prédire certaines cho- ses qui certainement arriveront avant qu'il soit peu!... — De mieux en mieux, sur ma parole! re- partit Gustave. En même temps , il prit son chapeau , et sortit de la chambre avec le marquis. XVI. VIS APLOMB DE MARQUIS. Après une longue promenade entremêlée de causeries, qui avaient laissé pour Gustave les projets du marquis dans la même obscu- rité, ilss'étaientl'un et l'autre acheminés vers la demeure de Flora, En entrant, le marquis 201 LA l'OULE essaya de prendre une contenance Ternie et assurée; mais à peine eut-il aperçu Flora, qu'il devint pâle comme la mort il y avait tant de mépris et d'indignation dans les re- gards de cette jeune fille, innocente et pure, et cruellement offensée, que le marquis ne put soutenir ce foudroyant coup-d'œil. — Vous, ici?Vousmonsieur! ditFlora, la tête haute, les yeux brillants, les narines gonflées. Je ne veux pas vous recevoir ! Sortez ! . . . Et, comme le marquis, au comble de l'exas- pération, s'emportait à de violentes menaces, Flora s'élança vers la porte, et sortit de l'ap- partement. — Monsieur, dit-elle d'une voix forte et vi- brante, sortez, ou j'appelle ! Gustave restait saisi de surprise. — Au nom du ciel, que faites- vous? disait* AUX OEUFS D'OR. Î05 il en prenant les mains de Flora. Du calme, je vous en conjure !... Vous ne reconnaissez donc pas monsieur le marquis de Pons? — Oh! oui, je le reconnais! dit amèrement Flora, et je veux qu'il sorte, à l'instant même!., ou bien c'est vous, monsieur Gustave, c'est vous qui le ferez sortir ! Vous êtes un homme de cœur, et vous devez aide et protection à une femme qu'on outrage !... — Oui, sans doute, aide et protection ! dit Gustave profondément ému. Et je ne demande qu'à vous prouver mon estime, mon dévoue- ment! Oui, rien ne m'arrêterait, pas même la mort !... Mais où donc est votre en- nemi, mademoiselle? Où donc est l'homme qui vous outrage? Car, franchement, monsieur le marquis n'a pas, aujourd'hui du moins, n'a pas un tort à se reprocher envers vous... — Oh! monsieur Gustave, si vous saviez!... 206 LA POl 1 1 Elle s'interrompit tout à coup; elle était blanche de colère. — Mais dites, Flora, dites, je \ous en con- jure!... reprit Gustave d'un ton suppliant. M. le marquis de Pons est-il donc si coupable à votreégard? Vous êtes irritée contre lui, je le sais... Mais au moins ne reculez pas devant une explication... Peut être Pa-t-on calomnié à vos yeux... Peut-être... — Non, personne ne l'a calomnié... mais c'est un lâche! Ce n'est pas un homme d'hon- neur ! — Mademoiselle, répliqua le marquis, les dents serrées, prenez garde ! Je ne suis pas d'humeur patiente ! Les injures ne glissent pas sur moi!... Vous avez beau être une femme, prenez garde ! V — Oh! monsieur le marquis, je ne vous AUX OEUFS DOR. 207 crains pas ! N'ai-je point ici quelqu'un pour me défendre ! Gustave, n'est-ce pas je puis compter sur vous? — Gustave I murmura sourdement le mar- quis. t- Oh ! oui , Flora, oui ! dit chaleureuse- ment Valory. Je suis votre défenseur, votre frère, et toujours, et partout I... Dites un mot, et ma vie, mon sang vous appartiennent!... Mais, par pitié, du calme !... Ne vous laissez pas aveugler par la colère ï... Tout à l'heure encore M. de Pons me parlait de vous. Il me parlait de vous en ami respectueux et dévoué... — Oh! mensonge! mensonge! Hypocrisie!.. C'est un ami, dites-vous? Non, c'estun ennemi lâche et mortel!... Je ne veux pas le voir, je ne veux pas ! La porte de l'appartement donnant sur l'es- 208 poi i I calier était ouverte; le bruit de cette alterca- tion devait s'entendre jusque sous le vestibule. Déjà plusieurs domestiques et le portier, in- quiets et curieux, avaient monté quelques mar- ches ; et, se penchant en dehors de la balus- trade, ils renversaient la tête afin de voir cequi se passait aux étages supérieurs. Heureuse- ment pour le marquis de Pons, madame Du- vercourt était cette fois réellement absente; mais, tremblant qu'attirée par ce bruit, elle ne vînt et ne fit une horrible esclandre, il préféra sortir de l'appartement, et dit à Gustave — Mon ami, venez!... Elle est folle! Mais Gustave ne bougea point peut-être même n'avait-il pas entendu les dernières pa- roles du marquis; et, plein de surprise et d'in- quiétude , il ne détachait pas ses regards de Flora qui , pâle et frissonnante , sembla tout- à-coup perdre ses forces, et tomba sans mou- vement dans les bras de Valory. AUX OEUFS d'or. 209 — Gustave ! murmura-l-elle d'une voix éteinte, restez... — Eh ! venez donc, mon cher ! cria le mar- quis avec impatience, en frappant du pied; c'est de la comédie , c'est du drame , c'est de l'opéra , c'est tout ce que vous voudrez... ex- cepté un évanouissement ! — Vous êtes bien dur, monsieur le mar- qnis! répondit Gustave avec amertume. Voyez, voyez!... En effet, la pauvre Flora avait perdu entiè- rement connaissance ; elle était comme morte entre les bras de Gustave et d'une femme de chambre qui venait d'accourir. — Parbleu ! monsieur de Valory, s'écria de Pons ironiquement , pour un poète qui se pique de savoir, comme vous, tous les secrets du cœur humain, vous êtes bien novice! t>l> LA POULE — Monsieur, dit fièrement Gustave, vos plaisanteries ne sont pas de saison ! — Ah l vraiment, monsieur Gustave! Je vous gêne, n'est-ce pas? Voilà ce que vous voulez dire? — Peut-être, Monsieur, peut-être... Mais, permettez-moi , je vous en conjure, de cesser la conversation... Mademoiselle Duvercourt est fort mal, et c'est d'elle seulement quUl faut s'occuper... — Oui, oui, je comprends vous et Thori- gny vous êtes fort bien ensemble... Aujour- d'hui l'un, demain l'autre... C'est bien! c'est bien!... C'est fort honorable ! — Monsieur! Monsieur ! dit Gustave, trans- porté d'indignation , vous £tes un calomnia- teur ! — Ah! AUX OEUFS D'OR. 211 Et le marquis, déjà sur l'escalier, s'élançait de nouveau vers l'appartement, quand la femme de chambre, qui avait les manières brusques et décidées à la façon de madame Duvercourt, poussa rudement la porte et la ferma au ver- rou. Le marquis, furieux , mais comprenant bien qu'une plus longue résistance de sa part ne serait que burlesque, descendit précipitam- ment l'escalier. — Oh! je me vengerai! murmura-t-il , et bientôt !... Je me vengerai de tous deux !... de tous trois! Mais elle d'abord!., c'est elle que je veux perdre! Le poète ensuite... Il sera tou- jours temps. " XVII. DEUX MOTS A L'OREILLE. Une fois seule avec Gustave, Flora Duver- court ne tarda point à reprendre connaissance. Alors, fondant en larmes, elle lui fit un com- plet aveu de tout ce qui s'était passé entre elle et le marquis de Pons. t. i. 14 '214 LA P01 I l — Je me taisais , Gustave , dit-elle ; j'avais encore pour cet homme un reste d'égards; je ne voulais pas l'humilier à vos yeux... Mais, puisque c'est lui qui m'y force, alors je parle ! — Oh ! le misérable ! s'écria Gustave en ser- rant les poings. Avec quelle hypocrisie, avec quelle audace il m'a trompé !... Si vous saviez Flora, comme il parlait de vous , comme il jouait devant moi l'homme d'honneur !..Ah ! je comprends, maintenant ! je comprends tout! — Oui, Gustave, oui, c'est unlâche ! depuis longtemps je le connais, jelis dans son cœur. fc . Oh! si ma mère avait voulu me croire! Mais cet homme, avec son nom, avec sa fortune, avec ses titres, avait réussi à l'éblouir... C'est mon déshonneur qu'il voulait!.. — Flora, soyez tranquille! dit résolument AUX oeufs d'or. 215 Gustave, en lui serrant une main dans les siennes vous avez plus qu'un ami , vous avez un frère ! et vous verrez bientôt si l'épée d'un galant homme ne vaut pas celle d'un fat, d'un bretteur ! — Gustave, oh! vous m' effrayez!... Je vous en conjure, pas de duel avec cet homme !... Il vous tuerait! — Peut-être !... dit sourdement Gaslave , mais je ne le crois pas I J'ai pour moi la justice et ma conscience je serai fort ! — Non, Gustave, ne risquez pas votre vie pour moi. ..Je me détesterais ! ... Oh ! mon ami, s'écria-t-elle avec une douloureuse exaltation, s'il vous arrivait malheur, je n'aurais pas la force de vivre ! — Floral Flora! dit-il avec une profonde émotion. Oh! que je suis heureux! quel bon- 2J6 LA FOI LL heur de vous entendre ! Le ciel est dans mon cœur!... Aussitôt un coup de sonnette brusque et saccadé les lit tressaillir madame Duvercoui t entra vivement dans la chambre, ses gros pieds dans une paire de galoches, un énorme para- pluie vert à la main. • — Eh bien ! eh bien ! dit-elle en frappant le parquet avec le bout de son parapluie qui se déploya tout à coup, j'en apprends du joli ! Et dire que je n'étais pas là! pour lui tirer la moustache à ce grand efflanqué de marquis !.. Gustave et Flora eurent beau faire pour calmer madame Duvercourt , sa fureur se dé- chaîna terrible pendant plus de vingt minutes, avec un torrent d'injures et d'expressions bur- lesques , empruntées au vocubalaire des halles. aux oeufs d'or. 217 — Ah ! le coquin! disait-elle en se cambrant, un poing sur la hanche Scélérat ! pendard î voleur ! tu veux me filouter la vertu de ma fille ' ... Attends, attends, marquis de Garabas! marquis de l'Ognon î Je le donnerai du mar- quis parla figure, et du balai autre part!.. Ah! ah ! ah ! ma pauvre fille, mon enfant , ma co- cotte !... Gustave, bien persuadé que les observations seraient inutiles, laissa la vieille femme don- ner un libre cours à sa colère. — Ah ! mes enfants, mes chers enfants, dit-elle en se radoucissant un peu,je suis une fière imprudente aussi, moi ! Dire que j'ai pu me laisser faire au même, et pendant si long- temps! je le prenais pour un épouseur,ce gueux de marquis !...Oh! mais c'est égal, va, ma fille, ne t'inquiète pas... je t'en donnerai à choisir, 218 LA POULE des marquis, des ducs, et des pairs... et de plus huppés que ce petit freluquet! — Maman, je t'en supplie, dit Flora d'un air affectueux et chagrin, ne songe pas encore au mariage pour moi... — Tiens ! par exemple, en v'ià d'une autre! Crois-tu donc, mon petit trésor, que je vais te laisser moisir sur les planches? Quand je dis sur les planches... j'entends cette boutique de l'Opéra... Non, non, pas du tout, mon astre ! J'ai mon idée, moi... Je veux qu'il enrage, ton marquis! qu'il se mange les bras jusqu'au cou- de!.. Oui, j'ai ma vengeance! Je te mitonne un vicomte, un vrai vicomte, un beau vicomte ! cinq cents mille livres de rente... en espéran- ce ! et des châteaux en veux-tu, en voilà! Gustave regardait Flora d'un air triste et profond. Celle-ci, tournant sur lui des yeux pleins de tendresse et de mélancolie, répondit aux oeufs d'or. 249 à sa mère sans cesser un instant de regarder Gustave — Maman, crois-moi, n'ayons pas ces idées ambitieuses... la fortune et les titres n'appor- tent pas toujours le bonheur!.. Au contraire , elles le font fuir bien souvent!... — Ah ça, ah ça ! qu'est-ce que tu nous chan- tes, toi? dit madame Duvercourt, en éearquil- lant ses gros yeux. — Je dis, maman, que sans être riches, nous arriverons tôt ou tard au bien être. Mainte- nant, grâce à Dieu, ma position est assurée ; mes appointements nepeuvent que s'accroître; et dans quelques années... — Oui, oui, je t'engagea compter sur les années! répliqua madame Duvercourt, en re- plongeant son parapluie dans la gaîne de ser- ge, Voilà comme sont les jeunesses. Elles s'i* '220 I A M> Il maginent qifon no vieillit pas, que les dents vous tiennent dans la bouche, et les cheveux sur la tôle, comme les marronniers des Tuile- ries... Mais, pas de ça, Lisette ! les dents , ça tombe; les cheveux, ça tombe; tout tombe, quoi ! Tu as beau chanter comme un rossignol, tu peux devenir muette... Un bon rhume, un maudit catarrhe, une extinction de voix... et bernicle! adieu le sol ! la chanterelle est cas- sée.. . ça ne vaut plus que deux liards ! . . — Eh ! maman , repartit Flora avec un mélange de tristesse et d'impatience, pourquoi prévoir de tels malheurs? Dieu merci, je suis jeune et bien portante ; jamais un rhume! ma voix ne peut, au contraire, que gagner... Pourquoi veux-tu donc que je la perde?.. — Je veux? je veux , dis-tu ? interrompit madame Duvercourt d'un ton colère. Non, certes, je ne veux pas! je ne veux pas du tout! AUX OEUFS D*OR. 221 je te le défends même expressément!.. Mais enfin les choses viennent sans nous demander permission; et tu as plus d'un exemple à l'O- péra... suffit ! Je ne veux pas que ma petite Florinette passe toute sa vie à s'égosiller sur un théâtre... Il faut absolument qu'elle soit vi- comtesse, et je tiens mon vicomte ! . . . Gustave comprenait parfaitement toute la pensée de madame Duvercourt ; et , muet , sombre, pensif, il fronçait les sourcils. Flora gardait le silence. — Laisse-moi faire, ma cocotte chérie ! re- prit madame Duvercourt , en appliquant un gros baiser sonore sur la joue de sa fdle. J'ai ton affaire entre mille; et le vicomte de Tho- rigny... Elle s'interrompit tout à coup ; la porte ve- nait de s'ouvrir , et la femme de chambre an- nonça le vicomte de Thorigny. Î22 LA POULE — Ah! mois c'est comme une bénédiction! c'est un coup du ciel! s'écrie madame Duver- court en s'élançant vers le vicomte et lui pre- nant les deux mains qu'elle serre avec une tendresse frénétique. Monsieur le vicomte, ce cher monsieur le vicomte! On soupirait après lui... Comme je suis heureuse!... Le vicomte fit de son mieux pour répondre aux démonstrations cordiales de la vieille femme. En même temps, il saluait Flora d'un air aimable et dégagé, et lui prodiguait toute sorte de compliments. — Oui, mademoiselle, en vérité, disait-il avec un tendre sourire, votre nom est dans toutes les bouches ! On vous admire, on vous aime, on vous adore!... Tout-à-l'heure encore on parlait de vous chez l'ambassadrice d'An- gleterre ; et, si vous n'étiez pas si modeste, % aux cœurs d'or. 223 je vous dirais toute la conversation, mot pour mot... Après quelques paroles plus ou moins in- signifiantes, échangées de part et d'autre, le vicomte, se penchant à l'oreille de Gustave, lui dit plusieurs mots à voix basse. — C'est bien , répondit Gustave à demi- voix. Je suis prêt... — Chut ! fit le vicomle d'un air mystérieux . On nous observe... Qu'on ne se doute de rien ! . . . — Dans cinq minutes je vous suis, repartit Gustave. — Eh bien? eh bien?... Qu^est-ce que vous marronnez donc là? dit madame Duvercourt, qui n'aimait pas les aparté ailleurs qu'au théâtre. Vous semblez tout soucieux, Monsieur le vicomte,.. Qu'est-ce que c'est donc?! ^24 l-A 1MH LE — Oh î rien... rien, je VOUS assure, ma chère madame Duvercourt! repondit le vi- comte en souriant. Je parlais à M. Gustave d'un pclit journal... Il s'agit d'un article que je voudrais faire passer. — Un article? Ah! dit madame Duvercourt, en se frottant les mains. J'aime beaucoup les articles, moi ! Surtout quand ils font mousser mon petit ange... — Eli bien! vous serez contente alors, j'es- père, répondit le vicomte en se dandinant. Mais pardon , ma chère dame, il n'y a pas un instant à perdre, on nous attend au journal... — Et quel journal, s'il vous plait, mon cher monsieur le vicomte? — Le Troubadour . Demain, j'aurai le plaisir de vous apporter le numéro. — Allez, allez, mes amis, mes bons amis! AUX obufs d'or. 225 dit madame Duvercourt, le visage éclatant de joie. En v'ia des amis véritables, des applau- disseurs! C'est bien, c'est bien! Courage, monsieur Gustave! bravo, monsieur le vi- comte! Chauffez, chauffez ma petite!... Et le vicomte sortit de la chambre avec Gus- tave, qui, en prenant congé de Flora, lui avait serré la main d'un air triste et rêveur. — Tu \ois bien, colombe, dit madame Du- vercourt à Flora dans quatre ou cinq mois au plus, nous serons présentées à Sa Majesté Louis-Philippe ! xvra. LE TROUBADOUR. Le lendemain matin , madame Duvercourt reçut un journal sous enveloppe c'était le nu- méro du Troubadour si pompeusement an- noncé par le vicomte de Thorigny. — Ah ! ah ! s'écria-t-elle en battant des 228 LA. POl LE mains. Voici donc la fameuse article ! Nous allons voir! nous allons voir !... Flora! viens, ma petite... C'est le journal... Viens me dé- chiffrer ça... Madame Duvercourt avait grand besoin d'as- sistance en pareille occasion, car elle ne lisait pas très-couramment. Néanmoins, comme Flora qui était en train de s'habiller n'arrivait pas tout de suite, la vieille, ne pouvant modérer son impatience, déploya le journal et se mit à épeler le titre des articles. Elle parvint , non sans quelques efforts, à rassembler ces mots imprimés en gros carac- tères Salon d'Érard, concert de mademoi- selle FLORA DUVERCOURT. Mais l'article était imprimé trop fin , et madame Duvercourt n'avait point ses lu- nettes. AUX oeufs d'or. 2Î9 — Flora! Flora! criait-elle avec impatience. Accours donc, paresseuse ! — Oui, maman , me voici. J'achève d'agra- fer ma robe. Et madame Duvercourt, examinant l'article dans tous les sens, voyait briller à chaque ligne le nom de Flora ; de temps à autre elle saisissait un lambeau de phrase, vague et tron- quée, qu'elle se hâtait de rétablir et de com- pléter dans son imagination. — Oh ! c'est superbe ! disait-elle à demi- voix. Quel bonheur d'avoir dans sa manche des poètes et des vicomtes! Ça vous pose un peu joliment. Bon! bon! soyez tranquille, monsieur le directeur de l'Opéra; quand no- tre engagement sera fini, nous vous ferons cra- cher au bassinet!... Oui, oui, cinq cents francs de feux autrement, bonsoir, nous fermons le bec et l'oiseau ne chante plus! T. i. 15 230 LA POULE Enfin, la jeune cànlâVrîce parut, et sa mère, lui présentant le journal dune main trem- blante d'émotion, dit en se rengorgeant — Lisez-moi ça , madame la vieomtese ! vous m'en direz de bonnes nouvelles. Flora, toute rayonnante déplaisir, jeta un coup-d'œil sur l'article que lui désignait sa mère; mais trop agitée, trop émue pour lire à haute voix, elle s'interrompit au milieu de la seconde ligne. — Cet excellent M. Gustave! dit-elle avec un accent plein de reconnaissance, il ne manque jamais une occasion de m'êlre agréable. — Ah ça! es-tu folle, ma chère? que viens- tu nous parler de Gustave? c^est à M. le vi- comte de Thorigny que tu dois cette fameuse éloge AUX oeufs d'or. 231 — Non, maman, non, je t'assure. L'auteur de cet article est M. Gustave j'en mettrais ma main au feu. — Eh bien! elle pourrait te cuire, ta main, fillette ! Quand je dis une chose , moi, c'est que j'en suis sûre. D'abord ce cher vicomte me fait ses confidences... Il m'a dit l'autre jour tout ce qu'il voulait mettre dans son ar- ticle , et je reconnais mon homme... Oui, \ois-tu, dès la première ligne. Je suis une fière connaisseuse , va ! Tandis que madame Duvercourt parlait sans interruption , Flora, un peu plus calme, s'était remise à lire l'article. — Ça chauffe , ma cocotte , ça chauffe !.. nous avons la vogue! A présent je ne veux plus que tu chantes dans leurs concerts à bénéfice ou pour les pauvres , c'est-à-dire pour le roi de Prusse. Il nous faut trente jaunets, pas un 232 LA POULE sou de moins j ou bien, ça m'est égal, ils fe~ ront chanter le diable , si ça peut leur l'aire plaisir ils n'auront pas même de nous un ira la la. Mais va donc; lis tu es muette comme une carpe! En même temps , madame Duvercourt , étonnée de ne recevoir aucune réponse , tourna la tète vers Flora qu'elle n'avait pas regardée depuis quelques minutes. — Eh ! bon Dieu ! qu'est-ce que t'i as donc , Flora ?.. La jeune fille était d'une pâleur mortelle ; ses yeux demeuraient fixés avec désespoir sur le papier qui tremblait dans sa main ; deux grosses larmes descendaient le long de ses joues. — Mais encore une fois qu'est-ce qui te prend? dit madame Duvercourt avec un mé- AUX oeufs d'ok. 233 lange d'inquiétude et de mauvaise humeur. Ali ! ça, mais tu n'es pas raisonnable! Com- ment ! les éloges le font encore un effet pareil? tu devrais pourtant^ être habituée.... Allons, allons, ne fais donc pas la petite fille ! C'est bête à manger du son ! Flora ne put répondre que par un soupir; et, laissant tomber sa tête sur sa poitrine, elle se mit à fondre en pleurs. — Oh ! mon Dieu î mon Dieu ! murmurait- elle au milieu des sanglots qui la suffo- quaient. Quoique madame Duvercourt ne fut pas un modèle de tendresse et de sensibilité , elle ne put se défendre d'une certaine émotion, en voyant la douleur de sa fdle. — Flora! ma pauvre Flora! dit elle en lui pre- nant les mains avec affection ; je t'en prie, dis- 234 LA POULE moi ce qui te fait pleurer? Je suis bien sûre que c'est lu joie,... mais n'importe, ma chère enfant, je voudrais que tu t'expliques.... — Oh ! c'est horrible ! me traiter de la sorte !..- Et Flora, toujours étouffée de sanglots, n'en pouvait dire davantage. — Ma foi ! reprit la mère d'un ton bourru, si j'y comprends quelque chose, je veux bien qu'on m'écorche toute vive. — Tiens, lis, maman.... dit Flora d'une voix faible et tremblante. — Lis toi-même lu vois bien que je n'ai pas mes lunettes; et puis d'abord, c'est écrit trop fin. Àù surplus, je n'ai pas trop besoin de savoir ce qu'il y a là-dedans... .C'est toujours la même chanson. Des compliments et des cajo- leries à vous faire tourner la caboche !... Oui, aux oeufs d'or. 25S pardienne ! je devine ! tu es belle comme trente six mille Vénus ; tes cheveux sont noirs comme un geai \ et puis ta petite bouche est un nid d'amours, tout garni de perles... avec un rossignol qui chante... Hein ! c'est pas ça ? Tu vois bien que je mets le doigt dessus, et que je vous fais l'article d'une manière un peu soignée. Mais Flora n'avait point l'air d'entendre; elle conservait toujours la même attitude, la même expression douloureuse et découragée. — Voyons, petite, voyons , parle ! reprit madame Duvercourt,en lui relevant la tête d'une main et la regardant en face , tu m'im- patientes à la fin ! Est-ce que tu as avalé ta langue ? — Maman! maman î si tu savais!... Oh ! c'est une abomination! Cet article est infâme ! — Infâme ? répéta , madame Duvercourt 236 i a POULE pétrifiée île surprise. Mais ce n'est >is possi- ble ! Quand je te dis que c'est M. le vicomte qui en est l'auteur !... — Non, maman , non ! c'est un ennemi mortel qui a pu seul écrire ces lignes. Elles sont autant d'injures et de mensonges... — Des injures! je voudrais bien voir ça! dit madame Duvercourt qui devint pourpre de colère. — Oh! je comprends!... oui, je reconnais la main!... c'est luil c'est le marquis de Pons! Il n'y a que cet homme là qui soit assez lâche pour calomnier une femme ! — Mais voyons donc? s'écria madame Du- vercourt, en ramassant le journal tombé à terre et l'approchant de son nez, Mes lunettes, Jus- tine, mes lunettes ! La femme de chambre accourut en s'enten- AUX oeufs d'or. 237 dant appeler ; et, curieuse d'apprendre ce que renfermait l'article, elle offrit à sa maîtresse de lui en faire la lecture , puisque mademoi- selle Flora était trop émue. — Non, non, je vous en prie, Justine! dit Flora en sangiotant; ne lisez pas ces infa- mies! — Mais au contraire, je veux qu'elle lise, moi! repartit madame Duvercourt d'un ton impérieux. Ce n'est pas au moins que Justine soit plus habile que moi à la lecture ; mais elle a de meilleurs yeux et peut lire sans lunettes. Allons, vite, Justine. La femme de chambre, qui avait un certain amour-propre littéraire, n'avait garde de lais- ser échapper cette occasion de montrer son savoir. Elle lut donc à voix haute, et sans trop ânonner Le dernier concert, qui s'est donné dans 238 LA VOILE les salons d'Erard, avait attiré toute l'élite de la société parisienne. Au Tait, jamais pro- gramme plus magnifique et plus pompeux! Messieurs Listz et Thalberg , nos célèbres c virtuoses, devaient rivaliser d'éclat, de verve et d'harmonie ajoutez à ces deux grands noms, les noms d'Artot et d'AIexan- t dre Batta, et puis encore les plus hautes ré- f putations musicales des Bouffes, et de TAca- demie Royale de Musique. » On peut dire que le programme, bien que très fastueux, a rempli toutes ses pro- t messes ; il est fâcheux que mademoiselle € Flora Duvercourt n'ait pas fait de même. Celte jeune et brillante cantatrice, qui lais- sait concevoir de si belles espérances, s'est endormie fort imprudemment sur ses lau- riers, et par malheur, elle s'est enrouée t quelque peu dans son sommeil. Sa voix, aux oeufs d'or. 239 d'abord si fraîche et si veloutée , s'éraille après les trois ou quatre premières mesures; € et bientôt c'est une cacophonie déplora- ble... » — Cacaphonie? qu'est-ce que c'est que ça? interrompit madame Duvercourt d'un ton furieux. Comment! appeler ma fille cacapho- nie!... Les drôles! les butors! les gueux!... Oh ! si f je tenais Fauteur de cette article, je lui ferais avaler tout son gredin de journal!.. • — Mais ce n^est pas tout, madame, reprit Justine qui avait continué de lire tout bas. En voilà bien d'autres horreurs ! On prétend que mademoiselle Flora est très heureuse d'être jolie... et puis, allez, bien d'autres choses!... — Quoi? de quoi? plaît il? s'écria ma- dame Duvercourt rouge comme une pivoine. 240 LA POl II Est-ce que par hasard on mécaniserait la vertu de ma ille? — Vraiment, c'est affreux, madame ! pour- suivit Justine. En voilà des calomnies !... Flora, le visage entre ses deux mains, pleu- rait toujours à chaudes larmes. — Voyons! dépêche, Justine! cria ma- dame Duvercourt, dont l'exaspération redou- blait à chaque syllabe. Je veux savoir jusqu'au bout toute l'histoire... et puis, j'irai, moi, dans leur boutique! je leur flanquerai une danse... avec un tremblement général! Je bouscule tout, dans leur comptoir! Ah! jour- nalistes de malheur , je vous en dégoiserai, moi, et du chenu!... Lis , lis donc , Justine! — Non , madame , répondit la femme de chambre en jetant le journal sur une table. Je n'en ai plus le courage!... vous m'arra- cheriez les yeux!... AUX OEUFS D'OR. 241 — Oh! oh! ah! ahl il paraît que c'est gra- ve ! et qu'on nous refuse un certificat de bonne vie et mœurs!... Là, là, vite! lis-moi toute la kyrielle, je me charge du reste!... — Eh bien I madame, c'est inutile. . . Je vous assure qu'en vous lisant toutes ces bêtises-là, je vous ferais de la peine.. . On dit seulement que mademoiselle est jolie, très jolie, char- mante... qu'elle a une taille de guêpe, un col de sylphide... et puis toutes sortes de fari* boles... Jusqu'ici, madame, il n'y a pas grand mal. Mais ce n'est pas tout voyez un peu la malice et le venin des langues!... On prétend, c'est un mensonge! et je le crierai partout!... on prétend que mademoiselle a des complai- sances, passez-moi le mot., des complaisances, ou quelque chose d'analogue, pour les em- ployés du département des Beaux-Arts, pour principaux artistes du Grand-Opéra, et 242 LA POULE notamment.... oui, madame, notamment, pour un jeune poète, M. Gustave Valory. Madame Duvercourt voulut parler; mais sa fureur était si violente, qu'elle ne put articu- ler une syllabe. Ses yeux flamboyaient comme des charbons ; ses narines gonflées bruissaient comme un soufflet de forge; on voyait sa gorge énorme s'élever et s'abaisser, pareille aux vagues enflées par la tempête. Enfin, la vieille femme, retrouvant l'usage de la parole, s'écria d'un accent courroucé — Oh! oh! oh! Voilà donc cette article! cette article si chouette que m'avait promis le vicomte ! .. . Elle est belle, elle est fraîche, l'ar- ticle!... Oh ! non, ça ne se passera pas comme çaî... Je vengerai ma fille! je prouverai au monde entier que c'est du mensonge! ma fille est innocente , innocente comme un enfant de trois jours! et si Ton ne me croit pas, alors, AUX oeufs d'or. 243 alors..., qu'on vienne y voirl... Oh! oh! oh! les gueux! les filous! les monstres! Nous voler notre réputation, notre vertu, qui est notre seul bijou ! . . . Ya ! va ! sois tranquille, ma pau- vre Florinette! continua-t-elle, en Ranimant par degrés je les frotterai d'importance! Oh! oui,, oui , je veux savoir quel est le scélérat qui ose griffonner ces horreurs!.*. Mais, d'a- bord, c'est le vicomte, c'est lui qui paiera pour tous!.. Oh! s'il pouvait venir !... Un coup de sonnette retentit. Justine va ouvrir c'est le vicomte. XIX. UN VENGEUR. Il entre, la figure pâle et décomposée. A peine madame Duvercourt l'a- 1- elle aperçu, qu'elle s'élance vers lui tremblante et furieuse. t. i. *6 fc i46 LA POULE — Ah! voilà donc monsieur le vicomte! dit-elle en secouant la tête et se croisant les bras. Merci ! merci !... vous avez joliment soi- gné ma fille !... — Oui, je comprends, madame, répond le vicomte d'un accent pénétré vous avez lu cet article, cet article infâme! et vous pouvez croire que je me suis permis hier, à votre égard, une infernale mystification... — Il ne s'agit pas de tout ça! interrompt madame Duvercourt en se cambrant d'un air majestueux. Pas de grands mots, et venons au fait. Vous m'avez envoyé sous enveloppe ce polisson de journal, qui nous traîne dans la boue,, moi et ma fdle ! — Non , madame, non ! ce n'est pas moi , je vous jure, qui vousai fait un pareil envoi !... Oh! Dieu m'est témoin que je voudrais bien savoir qui '....Cenepeutêtrequ'undrôle^qu'un aux oeufs d'or, 247 misérable ! et j'aurais un bonheur extrême à lui couper les oreilles !... C'est vrai, madame, hier je vous ai parlé d'un article qui devait passer aujourd'hui dans le Troubadour l'ar- ticle était donné à l'impression; moi, qui vous parle, je l'ai corrigé hier... — Ah ben! ah benî elles sont fraîches vos corrections! interrompit la vieille, d'une voix de stentor. — Mais je vous en conjure, ma chère ma- dame Duvercourt, laissez-moi m'expliquer... Je vous répète que l'article devait passer ce malin; mais il y a eu dans la composition du journal, je ne sais quelle abominable super- cherie!,.. Bref, on a substitué un autre arti- cle au mien , un article injurieux, infâme, plein de calomnies atroces! Et ce qu'il y a de plus étrange dans toute cette affaire, c'est qu'il m'a été impossible encore de découvrir 248 LA POULE le véritable auteur de cette diatribe. C'est un mystère, un mystère profond I... Oh! si je pouvais savoir I... — Je sais , moi ! interrompit Flora d'une voix faible et sanglotante. — Parlez, mademoiselle, parlez, je vous en supplie! s'écria chaleureusement le vicomte. Et je ne demande qu'à vous venger! Oui, quel qu'il soit, le misérable, je ne lui ferai pas grâ- ce 1 et son sang paiera vos pleurs !.. — Bravo ! bravo ! dit madame Duvercourt d'un ton belliqueux en secouant la main du vicomte; bravo, jeune homme, je vous approu- ve!.. Oui, tuez-moile coquin, pourlui appren- dre à vivre! et après, vous serez content de moi... Oui, vous aurez ma fille... quand vous l'aurez vengée. Le vicomte,qui élait bien loin de s'attendre à une offre pareille faite à brûle pourpoint, AUX OEUFS d'or. 249 demeura un instantfrappé desurpriseetmuet. Eniin, pour se donner une contenance et ca- cher son trouble mêlé de joie, il reprit impé- tueusement — Mademoiselle, oh! de grâce, si vous avez quelques soupçons , veuillez m'en faire part... — C'est inutile, monsieur, c'est inutile, ré- pondit Flora tristement. — Mademoiselle , je vous en supplie , un seul mot, un seul !.. J'ai déjà quelques doutes, moi qui vous parle; oui, je serais presque ten- té de croire... Mais une telle infamie, une lâ- cheté pareille de la part d'un homme si haut placé, oh! c'est à peine vraisemblable! N'importe! n'importe! Je le connais main- tenant, cet homme. . . il est capable de bien des choses... — Et de qui parlez-vous? de quel hom- 250 LA POULE me? demanda vivement madame Duver- court. — Mademoiselle Flora doit me comprendre, j'en suis sûr... — Oui, oui, monsieur! dit Flora en secouant la tête. — Ah! ah! tu comprends, petite? Eh bien! parle... nomme le masque... et voici monsieur le vicomte de Thorigny qui est un brave, et qui va lui couper le nez!...!N'est-il pas vrai, vicomte? — Oh! madame , je serais heureux de vous prouver mon dévouement! Non, vous ne pou- vez concevoir tout ce qu'il y a d'indignation dans mon cœur!.. C'est horrible! c'est horri- ble! Calomnier, outrager, couvrir de fange et d'opprobre une jeune fille aussi pure, aussi chaste! il faut n'avoir pas d'entrailles, n'avoir AUX OEUFS DOR. 251 pas de sang dans les veines... Mais j'en ai, Dieu merci! et pour défendre, pour venger mademoiselle Flora Duvercourt, je suis prêt à le répandre jusqu'à la dernière goutte!.. — Bien, bien, jeune homme! Vous êtes un vrai vicomte, au moins, vous! dit madame Du- vercourt, en lui tendant la main. À la bonne heure! en v'ià un de noble, un fils de pair de France! Gomme je vous embrasserais ça, si j'étais sa mère! — Eh bien, ma chère madame Duvercourt, allons, faites comme si j'étais votre fils... je vous en conjure! Et la vieille femme, s'élançant les bras éten- dus vers le vicomte, le pressa contre son cœur avec enthousiasme. — Oh ! oh ! que c'est touchant! murmura-t- elle d'une voix attendrie. Parole d'honneur j'en pleurerais, si je n'étais pas en rage. Ce LA P01 i .!•' cher vicomte, quelle bonne pâte d'homme! Comme il vaut mieux dans son petit doigt que le marquis de Pons dans tout son indi- vidu! — Le niarquisdcPons! dit Flora d'une voix faible et vibrante d'indignation . — Oui, oui, c'est un joli coco î reprit mada- me Duvercourt d'une voix aigre et perçante. Je lui conseille de remettre la patte sur mon parquet... Oh! ohî Je lui rafraîchirais sa frimousse de marquis avec un sceau d'eau froide ! . . — Eh bien!] entre nous soit dit, madame Du- vercourt , vous n'auriez pas tort ! murmura le vicomte d'un air significatif. Cet homme est votre ennemi ; il ne cherche qu'à vous nuire; et mêmeil voudraitfaire croire. . . — De quoi ? de quoi ? aux oeufs d'or. 255 — Non, mieux vaut me taire ! dit le vicomte en fronçant les sourcils. Vous sentez bien que je sais à quoi m'en tenir... Dieu merci, jecon- nais et puis apprécier mademoiselle Flora Du- vercourt. Je sais qu'il n^y a pas sur la terre une créature plus sainte et plus charmante ! Oh ! c'est un ange de candeur et de pureté !.. — Je l'espère bien, monsieur le vicomte, et celui qui sera assez heureux pour obtenir ce cher petit trésor , pourra dire , ma foi, qu'il n'est pas volé!.. Et quand je pense, vieille bête que je suis ! oui quand je pense que je l'aurais donnée les yeux fermés , ma pauvre bichette, à ce grand scélérat de marquis!.. N'est-ce pas à faire dresser les cheveux ?.. Oh! tenez, vicomte, parole d'honneur, j'en fris- sonne ! Donnez-moi la main... je tombe !.. Je vais m'évanouir !.. Et soutenait dans ses bras la 254 la roi le grosse vieille cjui, penchée en arrière, pesait de toute sa lourdeur sur le vicomte. Mais tout à coup, se redressant comme par magie , elle s'écria d'une voix de tonnerre — J'y suis ! j'y suis ! c'est le bon Dieu qui me souffle à l'oreille... Oui , parole d'hon- neur! le brigand qui a fait cette article, ou qui l'a payée, ça ne peut être que le marquis de Pons ! — C'est lui ! c'est lui ! répéta vivement Flo- ra Duvercourt. — Est-il possible ? quoi ! vous avez toutes deux la même idée ? Eh bien ! moi aussi , je 1 a partage... Et sans plus attendre, je vais trou- ver le marquis! je lui demanderai raison... Je le forcerai à se battre. — Oh ! oui, oui, vous ferez bien ! interrom- pit madame Duvercourt, en se fendant comme aux okufs d'or. 255 un maître d'armes, et tendant le bras. Une , deux! flic, flac! !.. Bon! courage !.. At- tends,attends, gredin! Une, deux! pif !.. Une deux ! paf ! Ah ! ah ! j'espère !.. Et tout essoufflée , pourpre comme une crête de coq, elle se laissa tomber dans un fauteuil. — Soyez tranquille , madame ! reposez- vous sur moi ! dit le vicomte d'un ton fier et menaçant. Demain , à pareille heure, vous serez vengée !... ou bien j'aurai cessé de vi- vre [ — Non, monsieur le vicomte, non , je vous en supplie, -dit vivement Flora d'un accent de frayeur. Ne vous battez pas avec le marquis de Pons... Je suis déjà bien assez malheureuse... Que je ne sois pas cause encore du malheur des autres !.. — Merci, mademoiselle! dit le vicomte LA pou; d'une voix profondément émue. Mais de grâce ne vous alarmez pas... Je ne suis pas un en- fant, un écolier... Dieu merci, j'ai douze ans de salle , et je plains ceux luî me bravent! Moi d'abord, je ne suis pas querelleur, j'ai le duel en exécration!... pour que je lire l' faut que j'y sois contraint. Ah ! ah! continua- t-il en secouant la tête, si j'avais pu soupçon- ner hier qu'une aussi lâche attaque vous me- naçait, les choses auraient bien pu se passer différemment!.. Je suis , moi , d'une nature assez conciliante ; j'arrange autant que possible les affaires qui n'ont pas de cause grave.... Hier par exemple, je n'ai pas cru de- voir laisser M. Gustave Yalory se battre avec le marquis de Pons... — Lui ! Gustave? Ohlque dites-vous? inter- rompit Flora, pâle d'émotion. Ce trouble, cet accent de frayeur et d'inté- AUX OEUFS d'or. 257 rêt ne pouvait échapper au vicomte il se mor- dit les lèvres. — Oui, dit-il avec un air d'indifférence, je ne sais trop quelle altercation avaiteu lieu hier entrecesdeux messieurs, mais enfin, un duel devait s'ensuivre ; je devais être témoin dans cette rencontre. Bref, une fois arrivé sur le ter- rain, j'ai fait tous mes efforts pour empêcher un rr .' . car véritablement , ce pauvre Valo- ry, malgré tout son courage, n'était pas de force à l'escrime. — Gustave ! Gustave ! murmurait doulou- reusement Flora. Pauvre ami qui prenait ma défense!... — Tiens, tiens, tiens, vous ne nous disiez pas ça? fit madame Duvercourt, en se frottant les mains avec une satisfaction orgueilleuse. Brave jeune homme! en voilà un qui nous aime, et qui nous est dévoué!... Ce pauvre 258 LA POULE Chérubin! lui qui manie bien mieux la plume d'oie que l'épée, il s'en allait au carnage, à la boucherie, sans rien dire!... Seulement pour le bonheur d'être le champion, le chevalier de l'innocence et de la beauté!... Si j'avais été là par exemple, oh ! je n'aurais pas voulu qu'on montrât les dents pour moi! J'aurais un peu drôlement épousseté monseigneur le marquis! Quel dommage ! quel dommage que je ne sois pas un homme!... Dites donc, vicomte, je se- rais votre second, et je lui percerais la be- daine raide comme balle î... Ah! ah! mon drôle, je t'apprendrais à nous faire des arti- cles, et à nous les envoyer sous enveloppe... comme si nous étions au premier d'avril!... Coquin, va! — Calmez-vous, madame Duvercourt... dit le vicomte d'un ton solennel. Je ne sou Vr irai pas qu'on vous manque de respect, non plus AUX oeufs d'or. 259 qu'à mademoiselle votre fille ! Sur mon hon- neur, vous ne subirez plus de pareils outra- ges ! Mais, en attendant, et pour donner une leçon aux facétieux journalistes, je vais re- tourner à leur bureau... Il faudra bien qu'on me dise enfin d'où part l'insulte; et si je ne puis obtenir aucune explication, je m'en prendraiau marquis de Pons!... Je le forcerai du moins à déclarer publiquement qu'il n'est pas l'auteur de cet article, que cet article est une infamie î Flora, qui ne voulait rien devoir au courage du vicomte de Thorigny, fit de nouveaux ef- forts pour le détourner de sa résolution; mais ce fut inutile. Madame Duvercourt dont la ran- cune était profonde, voulait absolument que le marquis fût châtié elle prit la main du vicomte d'un air solennel; et, lui tendant les bras 2>0 LA TOILE Al x OEUFS D f OR. — Venez ! s'éeria-l-ellc, venez , mon iils!.. Embrassez votre mère... et vengez-la ! Quelques minutes après, le vicomte de Tho- rigny sortait, la joie et l'espérance au cœur. A. A.. LA PLtJME ET L'EPEE. Le vicomte de Thorigny n'était pas un fan- faron; dans mainte affaire, il avait prouvé son courage, son imperturbable sang-froid, sa mer- veilleuse adresse à l'escrime. Néanmoins, il faut lui rendre cette justice, bien qu'il eût eu ï\u 17 5i52 LA FOULK un grand nombre de ducis, jamais peut-être il ne s'était montré le provocateur; et, lorsqu'il tirait Képée ou le pistolet, c'était toujours, di- sait-il, pour une cause pure, noble et sainte. On n'a pas oublié que Je vicomte faisait son- ner bien haut dansson langage les mots d'hon- neur et de devoir. Mais, en dépit de toutes ces protestations chevaleresques, le vicomte n'en était pas moins un jeune homme à bonnes for- tunes, un aimable et brillant séducteur, qui ne s'adressait toutefois qu'aux veuves et aux femmes libres le mariage était pour lui chose sacrée, surtout lorsqu'il s'agissait d'un ami. — Ce pauv rc vicomte de Thorign y , il est un peu bégueule! disait-on parfois au Jockey- Club. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir mangé sept ou huit cent mille francs! Plus tard, le caractère de ce jeune homme AUX oeufs d'or. 263 étrange et presque inexplicable se développera dans le sevènemenis qui vont suivre. En sortant de chez madame Duvercourt, le vicomte s élança dans son tilbury , et courut aux bureaux du journal. Menaces, prières, promesses d'argent, il n'épargna rien pour dé- couvrir le nom du rédacteur mystérieux; mais tous ses efforts demeurèrent stériles. Deux ou trois journalistes qui se trouvaient au bureau, lui jurèrent que cet article injurieux, qui n'était pas signé , avait paru sans l'aveu de personne ; c'était quelque chose d'incom- préhensible; il fallait que les compositeurs et le prote eussent été gagnés à force d'argent. Dès lors, M. de Thorigny, ne doutant plus que ces insultes anonymes ne fussent l'ouvrage du marquis de Pons, se rendit chez lui à la hâte , et voulut avoir uneexplicalion. Le marquis de Pons, qui n'était pas d'une '264 LA POULE humeur très patiente , reçut le vicomte assez mal; il lui répondit dédaigneusement qu'il n'avait décompte à rendre à personne, qu'il était seul juge de ses faits cl gestes , qu'il se trouvait parfaitement libre de louer ou de critiquer dans un journal, comme de siffler ou d'applaudir au théâtre. — Mais il ne s'agit dans de cette occasion ni de louange ni de critique, monsieur le mar- quis, dit le vicomte avec amertume il s'agit d'une attaque lâche et perfide, d'une calomnie monstrueuse! Là-dessus , querelle et défi , rendez-vous donné de part et d'autre. Le lendemain M. de Pons avait un coupd'épée qui lui traversaitla cuisse, et le vicomte était revenu triomphant chez Madame Duvercourt. Il serait difficile de peindre l'enthousiasme et l'admiration de la vieille femme. Elle serrait AUX oeufs d'or. 265 dans ses bras et couvrait de baisers et de ca- resses le vainqueur abasourdi, qui cherchait vainement à fuir ces embrassements eonvul- sifs, ces longues et fatigantes étreintes. Ma- dame Duvercourt, dans le paroxisme de son délire, prit une vieille couronne de roses arti- ficielles et la posa tout à coup sur la tête du vicomte. Cette fois, le gentilhomme eut peine à dégui- ser son dépit le ridicule était la chose qu'il craignait le plus au inonde, devant Flora sur- tout. Celle-ci ne savait comment exprimer sa re- connaissance ; elle admirait le courage et le sang-froid du vicomte ; pour la première fois peut-être, elle faisait à lui une attention sé- rieuse. Jusqu'alors elle avait été prévenue in- volontairement contre ce jeune homme; et tout ce qu'elle avait d'antipathie instinctive 266 LA POl Ll pour !c marquis de Pons avait rejailli sur le vicomte. Mais enfin elle se trouvait injuste; elle brûlait de réparer ses torls, et quand elle pensait à la manière héroïque dont le vicomte avait pris sa défense, à ce duel contre un en- nemi terrible renommé pour son adresse, elle se disait pie le vicomte de Thorigny n'était pas un homme comme un autre, mais une nature d'élue, d'exception. Et puis elle commençait à sVipereevoir pièce jeune homme était parfai- tement tourné, d'une suprême élégance, et qu'il y avait bien quelque gloire sans doute à Tavoir pour chevalier. Tout en faisant ces ré- flexions elle demeurait silencieuse, pleine de rêverie, et, par moments, reportant sa pensée sur Gustave, elle ne pouvait s'empêcher de faire, entre ces deux jeunes gens, une compa- raison qui n'éiail pas à l'avantage du poêle. Certes, celui-ci était un beau garçon, grand, svelté H d'une merveilleuse éloquence iors- AUX OEUFS UOR. !J67 qu'une passion forte l'inspirait ; mais il n'avait pas comme le vicomte cette facilité d'élocution, cctle aisance de manières que donne l'usage du monde; il ne parlait jamais que de choses sérieuses, poésie, littérature, histoire; il n'é- tait au fait derien courses de chevaux, clubs, excentricités fashionables, tout cela n'était point son affaire, non [lus que toutes ces au- tres vanités mondaines dont les femmes ont souvent l'air de faire Ci, mais qui les préoccu- pent singulièrement dans leur solitude rêveuse; car même pour les plus sages d'entre elles, les héros de ces frivolités sont des types de grâce et de bon goût. Et voici comme se parlait Flora, tout en re- gardant à la dérobée le vicomte C'est bierf quelque chose sans doute que le génie, l'élo- quence, la réputation littéraire; mais ce n est point assez pour un homme'... Non, ce n'est 208 PCM II point assez de couvrir de gloire la femme qu'il aime, il faut encore qu'il puisse la défendre... Gustave, lui, tout chevaleresque, touteourageux qu^lpeut être, n'imposera jamais à un ennemi audacieux il n'a jamais manié l'épée... Et pourtant on ne peut voir un plus noble jeune homme! quel dévouement! quelle âme! Comme il serait mort volontiers pour moi !... Mais il serait mort, voilà tout, mort sans me venger!... — Eh bien ! eh bien ! disait madame Du- vercourt, étonnée du silence et delà distraction de sa fille. A quoi rêves-tu donc? tu es là comme un terne... — Moi, maman? Ah! c'est vrai... Je suis encore toute bouleversée... Tant d'émotions dans un seul jour?... Et dire que j'ai été cause d'un duel, que mon noble et généreux défen- seur a manqué de périr pour moi ! — Oh ! mademoiselle, s'écria chaleureuse- aux oeufs d'or. 269 nient le vicomte, certes, je ne désire pas la mort ! et quand on vous connaît c'est un bon- heur de vivre ! Mais franchement, je n'eusse pas été à plaindre de mourir pour une si belle cause. — Entendez-vous ça? s'écria madame Du- vercourt enthousiasmée et toute prête à pleu- rer d'admiration. En v'ià un que j'oserai ap- peler un héros ! Comme nous sommes heureu- ses d'avoir un protecteur chiqué comme ça ! Maintenant je suis bien sûre que le marquis et les autres ne s'y frotteront plus... ça leur bou- chera le bec ! . . . — Vous pouvez être tranquille, dit le vi- comte je ne vous laisserai jamais insulter ! D'ailleurs, je crois que la leçon est assez rude! on ne recommencera plus. — Ah! dit tristement Flora. Qui sait?... J'ai de fâcheux pressentiments... il me semble que 270 1A l»0ll B j'ai trop facilement réussi jusqu'à ce jour!... Mes succès vonl pâlir. Oui, j'ai des rivales, des envieuses peut-être ; ci elles vont s'ameu- ter contre moi pour me perdre! — Quelle étrange imagination, mademoi- selle! Que pourraient toutes les cabales, les criailleries, contre un talent comme le votre! Soyez tranquille, si vous êtes attaquée, vous serez chaudement défendue, clj'ose,moi, vous prédire un succès toujours croissant. D'abord, nous allons faire en sorte, malgré le marquis et les autres, que votre engagement soit dou- blé à l'Opéra. On vous exploite, et c'est in- fâme de ne pas vous donner davantage. — Oui, c'est infâme, parole d'honneur! dit madame Duvercourt. Ce misérable directeur, s'il pouvait nous arracher le pain de la bou- che, il le ferait ! Et c'est pourtant le gosier de AUX OEUFS D'OR. 271 ma fille qui lui fait bouillir son pot-au-feu, à ce vieux ladre ! Pendant cette conversation, Flora, qui s'oc- cupait fort peu d'argent et d'intérêts matériels, s'égarait dans une foule de pensées vagues et mélancoliques. Par moment elle tournait les yeux vers le vicomte, et quand leurs regards se rencontraient, elle rougissait tremblante et confuse. Le vicomte semblait aussi fort ému; mais son émotion n'était visible que pour Flora madame Duvercourt le croyait exclusi- vement occupé d'elle-même, el elle lui faisait toutes sortes de cajoleries. Enfin le vicomte sortit pour aller, disait-il, se ménager quelque appui auprès de certains journaux influents. Madame Duvercourt était dans une joie inexprimable; elle se mit tout de suite à faire un éloge fastueux du vicomte elle blâmait Flora d'être si froide pour lui, de n pas être plus avenante. 272 I\1>0ULE AUX OEUFS d'ok. — Tu ne sais donc pas, petite, que c'est un parti superbe? Que toutes les marquises et les duchesses, oui, toutes, seront jalouses de toi? Tu qui Itérais bien vile le théâtre moi, d'abord, j'en ai par-dessus la tète! Je n'ose plus me fourrer dans ces coulisses, où il n'y a que des butors et des insolents Maman Duvercourt, par ci; maman Duvercourt, par là!... Toujours des expressions grossières; jamais un salut res- pectueux!... Ah! cabotins, vous en verrez de fameuses! et nous vous éclabousserons bien- tôt avec nos équipages! XXI. UN PARTI SUPERBE, Quelques semaines se passèrent. Le vi- comte était toujours très-assidu auprès de Flora, et chaque jour il croyait faire des pro- grès dans son cœur. Quant à la vieille, elle était folle de lui. C'était plus que de l'adora- 274 là roi il lion, c'était du fétichisme. Néanmoins, lors- que Gustave était présent , Flora semblait n'être plus la même pour le vicomte; elle tour- nait moins souvent les ycu\ de son côté, et lui parlait d'un ton plus cérémonieux. Le vi- comte ne s'alarmait pas de ce changement ; il croyait que la présence de Gustave en était la seule cause, et il trouvait bon que Flora ca- chât encore ses sentiments devant un étran- ger. Mais, en revanche, Flora était pour Gus- tave d'une amabilité charmante, d'une ten- dresse vive et profonde. Chaque fois qu'il venait, elle semblait rayonner de bonheur ; jamais peut être la présence de Gustave ne lui avaftélé plus douce, plus nécessaire. Le vicomte n'était pas jaloux de Gustave; il se croyait tellement supérieur à lui, qu'il ne pouvait s'inquiéter de si peu! Sans doute, Flora avait à le ménager; c'était un ami utile AUX oeufs d\>r. 275 dans l'occasion, un grand poète, qui pouvait lui composer des rôles, etc.. Mais si le vi- comte avait tant de sécurité, Gustave ne la partageait pas à l'endroit du vicomte; il le voyait avec peine et défiance impatronisé dans la maison. On ne faisait rien sans consulter. M. deThorigny, c'était un oracle ; et par mo- ments, le pauvre Gustave était d'une tristesse mortelle; ses paupières se gonflaient de larmes; puis le soir, rentré dans sa mansarde , il ré- fléchissait mûrement et unissait par se trou- ver d'une jalousie ridicule et puérile n'était- il pas tout naturel et tout simple qu'on lit au vicomte un gracieux accueil? Ii avait pris le parti de Flora les armes à la main; il avait ris- qué sa vie pour elle; et lui, Gustave, était mesquin dans sa jalousie, dans sa déliance. Dailleurs, une foule ae circonstances, plus ou moins insigniiiantes, lui faisaient comprendre qu'il était aimé, et que les soins, la déférence Î27G LA H>1 II témoignée au vicomte n'étaient que de la re- connaissance. Peu à peu, il se laissa convaim n'était pas un rival sérieux; que dailleurs il n^épouserait jamais Flora c Le seul obstacle que j'aie à rencontrer, pensait Gustave, c'est l'opposition de la mère, parce que jen'ai pas de fortune. Mais je veux gagner de l'argent, et puis obtenir de si magnifiques suc- cès, que mon nom vaille celui d'un vicomte ou d'un marquis!... » Encouragé par son espé- rance, il se mit à travailler avec plus de zèle, avec plus de verve; et, en moins detrois semaines, sa tragédie impatiamment attendue par le théâtre Français était complètement terminée. La con- juration de Catilina fut accueillie avec enthou- siasme et mise sur-le-champ à l'étude. Au bout d'un mois, la foule encombrait les abords du théâtre Français; on se pressait, on se battait aux portes. Les stalles d'orchestre se payaient cinquante francs, et n'en pouvait avoir qui vou- AUX OBUFS fc'OR. 277 lait. Ce fut un magnifique triomphe; les ap- plaudissements éclataient avec frénésie jamais peut-être depuis Corneille on n'avait entendu, sur las cène française, ces larges et nerveuses périodes, cette dialectique vive et pressée, ce bon sens admirable enfermé dans chaque vers. Et puis quelle touche forte et hardie ! quelles pensées ! quelle âme ! quel style \ On criait partout dans la salle c'est Corneille ! c'est Corneille! avec plus de jeunesse et d'éclat !.. Les journalistes eux-mêmes , cette race en- vieuse ou blasée, ne pouvaient se défendre de partager l'admiration générale; et, malgré quelques jalouses rumeurs, il était facile de voir que les éloges de la presse seraient una- nimes. En effet, le lendemain, c'était un con- cert de louanges hyperboliques les Vêpres Si- ciliennes elles-mêmes n'avaient pas obtenu tant d^honneur; et, parmi toutes ces voix qui s'é- lèvent du journalisme, il n'y en avait que deux t. i. 18 278 la Pô! 1 1 à peine qui venaient troubler la gloire du triomphateur. Encore ces diatribes boursou- flées d'injures, d'envie et d'injustice, équiva- laient presque à un éloge. Bientôt Gustave ap- prit de quelle main partaient ces dards em- poisonnés; mais sa victoire ne fut pas moins grande et complète. Tous les salons se dispu- taient le jeune et célèbre auteur ; le ministère lui donnait une pension; il obtenait le ruban de la Légion d'Honneur. Ce fut dans toute la France un écho d'enthousiasme ; la pièce im- primée se vendit à un nombre prodigieux d'exemplaires; et bientôt Gustave eut devant lui une trentaine de mille francs. Flora était plus heureuse du triomphe de Gustave que de ses propres triomphes. Madame Duvercourt elle-même était éblouie, et elle calculait sur ses doigts que Gustave n'aurait qu'à faire dou- ze pièces pareilles chaque année pour gagner 600,000 francs. AUX OEUFS D'OU. 21 — Eh ! eh ! pensait-elle alors, 13 parti ne se- rait pas mauvais... ii y a des éc US... Oui, mais ça n'est pas marquis ni vicomte, par malheur! Madame Valory , ça ne résonne pas du tout ! Le vicomte s'aperçut de l'effet prodigieux que le succès de Gustave avait produit sur la mère et la fille; et, en homme habile , il se garda bien de montrer de l'opposition ; mais il avait beau faire, c'est avec peine qu^il dissimu- lait son chagrin, son dépit. Néanmoins, il at- tendait tout des circonstances; il se promet- tait bien de prendre sa revanche. L'occasion ne tarda pas à s'offrir, Tandis que Gustave poursuivait le cours de son triomphe poétique, il reçut une lettre de son père toute radieuse Mon cher enfant , lui di5;ait ie bonhomme, je commence- à croire que tu as bien fuit de ne pas rester à la ferme. Ta chère maman et moi nous sommes enchan- 2 80 LA POULE lés, et nous t'attendons pour le faire fètc. Tu ne peux t' imaginer comme ta Conjuration de Catilina réussit chez nous! on s'arrache les jour- naux; on fait dans tout le département des lec- tures publiques de ta pièce ; bref, on te mé- nage une réception magnifique Ta pauvre ma- man, qui est simple comme bonjour, ne com- prenait pas d'abord ta position , et elle répé- tait sans cesse avec des soupirs La gloire sans argent est une viande creuse ! Mais depuis qu'elle a vu et palpé des preuves sonnantes de ton génie, elle est changée du tout au tout ; elle parle de Catilina du matin au soir , et vous bénit tous les deux. Mais à propos, je ne te parlais pas du prin* cipal joubliais de te dire qu'on a représenté 1 pièce à Clermont , et que la salle entière a failli crouler sous les trépignements, sous les acclamations. Tu n'as que des partisans et des adorateurs, voire même des adoratrices, AUX oeufs d'or. 281 parmi lesquelles mademoiselle Julictlo Bonval est sans contredit la plus ardente... Tu te rap- pelles bien Juliette, qui est presque notre voi- sine, cette jolie brune aux yeux bleus , qui a toujours eu une imagination si vive? Autrefois, quand vous étiez petits, vous jouiez ensemble, vous étiez comme frère et sœur; et je t'assu- re que si tu as oublié Juliette, elle se sou- vient de toi malgré l'absence de trois ans qu'elle a faite avec sa famille. Il n'y a pas plus de six semaines qu'ils sont revenus des colo- nies. Maintenant Juliette est un parti superbe, 20,000 livres de rente au moins. Le père a fait à la Guadeloupe de si heureuses spécula- tions, qu'il a quadruplé sa fortune en moins de trois ans. Je te parle d'argent , mon ami , mais je sais que cela ne te suffît point et que tu es très désintéressé Par bonheur, tu t'in- téresses un peu plus à une charmante figure, à une taille svelte et fine, à des yeux d'une 282 i a douceur d'ange; et quand tu sauras ce que je vais te dire et ce que je tw réservais pour la bonne bouche, je parie bien que tu ne vas pas rester vingt- quatre heures de plus à Paris, et que nousallons le voir. Oui, mon cher enfant, Juliette est folle de toi; elle était si émue pen- dant la représentation de ta pièce, qu'elle a failli s^vanouir au milieu des applaudisse- ments elle ne faisait que parler de Gustave, et rappeler maintes circonstances de votre pre- mière jeunesse. Et juge de ma surprise, lorsque, deux jours après, son père est venu me parler franchement, en bon voisin. Voici ce qu'il m'a dit; je me rappelle ses expressions Par- dieu compère, je nMrai pas par trente-six che- mins; je suisj un homme tout rond, moi!... Ma fille est parfaitement disposée pour votre Gus- tave or, j'ai quelque raison de croire que M. Gustave a bien quelque goût pour Juliette. Bref, le dernier triomphe de votre fils à fait tourner aux 0&UF6 o'oiu 283 tète à la pauvre chère enfant... Ma foi ! je ne veux pas qu'elle soit malheureuse. Je donne 400,000 francs à ma fille en la mariant; quant à votre fils, je le dispense d'apporter un sou de dot son talent me suffit; et s'il veut devenir mon gendre, pardieu ! qu'il vienne, je lui ten- drai les bras. » Tu sens bien, mon ami , que je suis trop bon père, et trop raisonnable, je crois, pour n'avoir pas accueilli avec empressement une pareille ouverture. J'ai seulement dit que j'al- lais t'en faire part et que je ne doutais pas que tu ne fusses le plus heureux des hommes. Viens donc; viens donc, je t'attends, et Ju- liette meurt d'impatience. » XXII. LES DIATRIBES. Cette lettre fit beaucoup réfléchir Gustave; il se rappelait en effet Juliette Bonval ; elle devait avoir dix-huit ans à peu près ; trois années auparavant , elle était partie avec sa famille pour la Guadeloupe; et alors, quoi- 286 LA POl 1 1 que toute jeune et à peine sortie de l'enfance, elle était déjà belle et annonçait beaucoup d'i- magination et d'esprit. L'aveu d'un semblable amour était sans doute singulièrement flatteur pour Gustave une jeune fille , belle et riche , qui lui offrait tout ensemble et sa fortune et sa main'- Toutefois, l'image et les souvenirs de Ju- liette ne pouvaient contrebalancer la présence de Flora. Aussi n'y eut-il pas la moindre hé- sitation dans l'esprit de Gustave; et il prit tout de suite la plume pour répondre à son père qu'il refusait. Mais réfléchissant tout à coup qu'un semblable refus paraîtrait offensant et qu'il fallait ménager l'amour-propre de toute une famille, il déchira sa lettre, et crut devoir attendre quelque temps encore, avant d'expri- mer un refus définitif. Le soir même, il se rendit chez Flora. Le marquis de Pons n'était pas rétabli en- aux oeufs d'or. 287 core de sa blessure , il gardait toujours la chambre. Quant au vicomte, il avait quitté Paris depuis une quinzaine de jours pour une affaire importante, une affaire de succession. Sans trop s'en rendre compte, Gustave élait enchanté de cette absence, et jamais il n'avait témoigné plus d'affection, de dévouement et d'enthousiasme pour Flora. Il venait donc d'entrer chez elle. Mais quelle est sa surprise, son émotion, quand il voit Flora pâle et la tête penchée sur sa poitrine, tout en pleurs! Madame Duvercourt se prome- nait convulsivement par toute la chambre, rouge, furieuse, hérissée, absolument comme une lionne en fureur qui tourne dans sa cage. Les tables, les meubles, les tapis étaient jon- chés de feuilles éparses c'étaient des jour- naux tout grands ouverts; journaux de théâtre petits et grands, revues, brochures, etc. 2802 LA roi AUX okiïfs d'om. partout où vous serez, je vous le crierai à la lace! Si vous n'êtes pas coupable de celle lâ- cheté, écrivez-donc, monsieur, donnez un dé- menti public, parla voie des journaux, à tous ceux qui vous accusent ; couvrez de honte les calomniateurs!.. Ou bien, si vous êtes toujours l'ennemi d'une femme qui ne vous a jamaisfait de mal, dites-le hautement, et quand vous se- rez guéri de votre blessure, vous trouverez en moi un ennemi mortel, acharné! Le soir même, Gustave reçut une réponse du marquis; elle était sèche et laconique. Le marquis de Pons a Thonneurde prévenir M. Gustave Valory que depuis six semaines il n'a pas lu un seul journal; qu'il est absolument étranger aux articles injurieux dirigés contre Flora ; que d'ailleurs il ne s'occupe pas d'elle. Si pourtant cela pouvait plaire à M. Valory, le marquis de Pons serait complètement à ses ordres avant quarante-huit heures. XXIV. FIASCO. Ainsi donc le marquis de Pons niail positive- ment êtrel'auteur de ces articlescomme jamais il n'avait passé pour un lâche, pour un homme capable de nier même une infamie en présen- ce d'un duel, on devait croire que le marquis 30i i a POfJLI disait la vérité. Néanmoins Gustave voulait avoir de plus amples explications ; et ne pou- vant trouver l'ennemi anonyme, il se promet- lait bien de faire payer cher au marquis leton ironique de sa lettre et la façon toute dédai- gneuse dont il parlait de Flora. Justement, le lendemain l'Opéra donnait une représentation extraordinaire qui avait attiré une affluence considérable. Tou- tes les logesétaienl garnies de superbes toilet- tes; le parterre était noir de monde c'était une espèce de solennité. Gustave se trouvait dans une loge à quelque distance de i'avant-scène; mais, craignant de laisser paraître son émo- tion à la vue deFlora, il demeurait dans le fond delà loge. Cependant, lorsque Flora fit son en- trée en scène et qu'une triple salve d'applau- dissements s'éleva, Gustave , comme emporté par un mouvement magnétique , s'élança sur aux oeufs d'or. 505 le devant de la loge, et battit des mains. Bien- tôt les acclamationsredoublèrent;presque tout le monde savait dans la salle ce qui s'était passé la veille, et queFlora était en butte à de sour- des persécutions. Aussi chacun voulait protes- ter hautement contre de si injustes attaques, et à peine Flora eut-elle chanté avec un trem- blement involontaire dans la voix, que des cris d'enthousiasme retentirent par toute la salle. Pourtant il s'en fallait que Flora eût chanté comme à l'ordinaire sa voix était fai- ble, mai assurée. Peu à peu néanmoins elle reprit plus de calme et de fermeté j encou- ragée par les applaudissements, elle finit par se surpasser elle-même ; et sa voix, se déve- loppant avec une pureté magnifique , s'éleva pure, vibrante et mélodieuse. Alors tous nos dilettanli se pâmèrent avec descris convulsifs, et Gustave joignit ses bravos à ceux de la salle, qui trépignait. Flora avait 306 l»OLLK quille la scène, qu'un murmure d'approbation eireulail encore à peine si l'on prêtait l'oreille aux fines et délicieuses fioritures de madame Damoreau. Bientôt Flora, toute érnueencorede sa victoire, reparut pour chanterune éblouis- sante cavatine. C'était un morceaud'uneétrange difficulté il y avait quelques passages où la voix la plus juste et la plus exquise courait grand risque de s'égarer , et la moindre erreur eût été quelque chose d'irréparable; car c'était un passage brusque et continuel des plus hautes notes aux plus basses, une profusion d'arpèges, degammes chromatiques, et puis des notes larges et sonores qui venaient dominer lebruitde l'orchestre. NéanmoinsFlora, pleine d'assurance, semblait devoir exécuter ce mor- ceau plus merveilleusement encore que les pré- cédents. Les premières notes furent attaquées avec une justesse surprenante. Onécoutait en silence; tous lesyeux étaient tendussur la scène; aux oeufs d'or., 307 les bouches étaient béantes. Gustave, retenant sa respiration, écoulait avec ivresse; il appuyait une main sur son cœur pour en comprimer les battements tropsonores; il était clans l'enchan- tement. Tout à coup la voix de Flora s'arrête et se brise; elle pâlit... ses yeux ont rencontré par hasard les yeux du marquis de Tons froid, calme et moqueur, il est accoudé au balcon ; et dans sa physionomie il y a quelque chose .d'a- cerbe et de cruel. Flora se trouble; compre- nant que l'œil de son ennemi mortel la dévore, elle se tait, et tremble comme une pauvre fauvette qui verrait tournoyer sur elle un oi- seau de proie. Un murmure de surprise et de mécontentement parcourt la foule. C'est en vain que les admirateurs passionnés de Flora invitent au silence de toutes parts s'élèvent des chuchotlements, des aparté peu favorables à la cantatrice, et personne dans la salle ne peut comprendre d'où vient un pareil orage. Ce- 308 \.K I»Ol I U pendant Gustave a compris ses yeux, sui- vant la direction des regards de Flora, ont bien vite reconnu le marquis de Pons , qui vient d'entrer au balcon pendant la cavaline. Une sueur froide parcourt tous les membres de Gustave; son cœur bat avec une violence inouie; un nuage couvre ses yeux. Flora chan- tait encore, mais au milieu des murmures et des chut. Ce n'était plus elle-même sa voix, toujours si ferme et si pure, avait baissé d'un quartdeton !.. Ellene chantait plusen mesure c'est en vain pie le chef d'orchestre, suant à grossesgoultes, la ca- dence avec sa baguette; c'est en vain que les basses, redoublant de force, essayaient de ra- mener la cantatrice dans le ton du morceau, la pauvre Flora était perdue; elle n'avait plus conscience de ce qu'elle faisait. Enfin, trem- blante, effarée, elle tombe dans un fauteuil ; sa voix meurt. Quelques coups de sifflet se font AUX OEUFS j>'or. 309 entendre, mais comprimés bientôt par les ap- plaudissements. Aussitôt le marquis, se levantavec affectation, se met à applaudir du bout des doigts en criant bravo ibravissimo! ! ! mais avec une intonation si railleuse, avec une physionomie si cruelle et si triomphante, qu'un rire inextinguible s'élève au balcon ; et des bravos ironiques qui avaient l'air d'attendre un signal, éclatent de tous côtés. Alors, brisée d'émotion, écrasée de honte, la pauvre Flora s'évanouit... Un cri part du fond d'une loge ; une porte s'ouvre et se referme avec fracas. On chantait le finale de l'acte. Les loges et le balcon se dégarnissaient. — Ahî ah! ah! c'est admirable! dit le marquis en riant aux éclats. Il faut en vérité venir à l'Opéra pour entendre dépareille mu- sique! t. i. 20 510 I A ROI II El, se lovant de sa place, il quitta le balcon on s'appuyant sur une canne il boitait légè- rement. Bientôt la foule s'amasse au foyer; le nom de Flora était dans toutes les bouches ce qui venait d'avoir lieu occupait toutes les conversations. Il y avait surtout un groupe composé de fashionables et de journalistes, où l'on discutait fort chaudement les uns étaient pour Flora , les autres contre; mais enfin tout le monde s'accordait à dire que si elle avait parfaitement chanté le premier morceau , la cavatine avait été un véritable charivari. Les ignorants, surtout ceux qui ne savent pas une note de musique, se montraient leplusacharnés contre Flora c'était, disaient-ils, un scandale, une affreuse mystification ; et le succès de Flora n'était dû qu'au charlatanisme, aux intrigues du ministère et des coulisses. — Eh! par ma foi, c'est un peu vrai,disait AUX OEUFS D'OR. 31 1 une voix moqueuse et \ihrantc. Moi qui vous parle , j'en fais très sincèrement mon mea culpa. — Eh ! pardieu ! oui , c'est vous , monsieur de Pons ! reprit un petit homme qui se dres- sait sur le bout des pieds pour faire valoir tous les avantages de sa taille exiguë vous nous avez imposé cette merveille, et si Ton vient nous écorcher le tympan, c'est votre faute, en effet. — Pardieu ! il ne faut pas m'en vouloir, baron de Forcil, dit le marquis de Pons vous voyez que je suis un galant homme, et que je meconfesse très sincèrement devant vous. J'ai droit à l'absolution. Mais aussi vous convien- drez d'une chose la petite avait un peu de voix d'abord, un filet assez agréable. D'ailleurs, avec une jolie figure et dix-sept ans, on peut assez bien jouer son personnage à l'Opéra?..» 312 POULE Ainsi vous auriez tort de m'en vouloir car, après tout, c'est une jolie femme. — Et vous en savez bien quelque chose , scélérat de marquis ! dit le baron avec un éclat de rire significatif. Ah ! gaillard , vous gardez pour vous les bons morceaux vous nous laissez les cavatines. Cette mauvaise plaisanterie fut accueillie par des rires ; et le marquis de Pons cria bravo, baron ! bravissimo ! — Oui , oui , bravo , bravissimo ! comme vous faisiez tout à l'heure pour la pauvrette ! Ah ! marquis , vous êtes un terrible homme ! et lorsqu'on est cantatrice et qu'on veut con- server ses trente mille francs d'appointe- ments, on a bien raison de ne pas se brouiller avec vous.... Voyez, la petite a eu tout d'abord un succès superbe ; on l'a comparée à la asta, à la Malibran , et que sais-je, moi ? à quelque aix oeufs d'or. 313 chose de mieux, s'il est possible alors vous aviez des regards indulgents pour la jeune merveille. Mais, bon ! voilà que vous vous brouillez... Oui, mon cher marquis, vous froncez le sourcil comme le Jupiter antique, et tout l'édifice que vous aviez construit s'é- croule ! Vous avez soufflé sur la gloire de la pauvre Flora... Sa gloire s'évanouit ! — Et par ma foi! je vous le jure, dit le marquis avec un éclat de rire amer, en se- couant la tête avec menace, je laisserai doré- navant mademoiselle Flora régler ses comptes entre elle et le public. Quand on a le malheur d'avoir pour mère une madame Duvercourt, on devrait au moins chanter juste ou ne passe brouiller avec ses amis. — C'est vrai, c^st vrai , dit le baron. Mais à propos, dites-moi donc, comment tout cela M ï LA roi s'esl-il arrange avec le poète?... vous savez , M. Gustave Valory ? Le marquis de Pons fronça le sourcil, et prit un air dédaigneux. — Je ne sais pas ce que vous voulez dire , baron. — Eh ! c'est pourtant très intelligible. Je vous parle des fameux articles qui ont paru a la fois dans tous les journaux. — Àh! oui. Diable m'emporte si je sais d'où cela vient ! — Bah I bah! marquis, vous voulez rire... Vous n'écriviez peut-être pas, mais vous dic- tiez au moins? — Non, parole d'honneur! Je ne sais pas comment tout cela s'est fait. Vous pensez bien, j'espère, que si jetais pour quelque chose là dedans, je n'aurais pas la bassesse de nier. AUX OEUFS DOR. 318 D'autant plus, je vous jure, que si je n'ai pas écrit ces articles, je ne partage pas moins leur opinion. Ce M. Gustave, ce poète, ce brave ri- meiir! J'ouraisvoulu pouvoir lui dire à la face Oui, mon petit bonhomme, c'est moi, c'est moi qui ai tout fait ! Cela vous est désagréable, n'est-ce pas ? et vous n'aimez guère qu'on tou- che à votre belle, vous la voulez pour vous tout seul? Je le crois bien, pardieu ! vous êtes un heureux coquin!... elle est brune mi.**» c'est une adorable créature ! Le marquis parlait encore, lorsqu'une voix se fait entendre à quelque distance — Le marquis de Pons est un calomniateur! un lâche! XXV. LE FOYER DE L'OPERA. Ce cri fait tressaillir tous les auditeurs; on s'étonne, on regarde c'est un grand jeune homme, pâle et les yeux ardents, qui perce la foule et s'avance vers le marquis de Pons. Ce- lui-ci est blanc de colère; il a reconnu Gus- tave. 318 i \ i»ui 1 1 — J'ai mal enlendu sans doute, monsieur? dit-il à Gustave, d'un air railleur et dédai- gneux. — Oui, vous avez mal entendu, monsieur le marquis, si vous avez entendu autre chose que ceci Le marquis de Pons est un calomniateur! un lâche î — Malheureux! Savez- vous bien que ces pa- roles vous coûteront la vie ! VU»-6lil V HMk 0»-*0»OV10 do Donc 1 Et JC les répèle! Je les répéterai toujours , jusqu'à ce que vous m'ayez prou vêle contraire!... La foule se pressait autour des deux anta- gonistes les uns pour Gustave, les autres pour le marquis ; et le nom de Flora circulait dans le foyer. — En vérité, dit le marquis de Pons avec un sourire amer, il faut que vous soyez fou pour venir vous attaquer à moi ! Vous ne sa- aux oeufs d'or. 319 vez donc pas, monsieur le poète, ce que vous risquez? il ne s'agit pas de duel avec des épées en bois comme sur vos théâtres ! Entre nous deux c'est la mort ! Mais la mort pour vous seul !... vous n'êtes pas de force! — Ah! ah! dit Gustave en s'avançant vers lui, la tête haute, les bras croisés Je vous prouve- rai qu'on est toujours fort lorsqu'on est juste et honorable. Tuez-moi,. . qu'importe! vous n'en serez pas moins un lâche calomniateur, qui offense des femmes lorsqu'il les croit sans ap- pui! Vous n'en serez pas moins un duelliste sans âme, qui compense par son adresse son défaut de courage ! Tuez-moi, vous dis-je ! et vous serez encore plus infâme... Tandis que si je vous tue, comme je l'espère, je suis tout pardonné d'avance, et j'aurai fait mon devoir de galant homme! — Bravo , bravo ! monsieur le poète ! vous 320 LA POULE déclamez admirablement , et je ne m'étonne pus Je vos succès au théâtre! Mais croyez-moi, je vous en conjure, nous ne sommes point ici sur la scène; ce n'est point un jeu, une parade! Vous avez affaire à un homme qui n'a jamais pardonné une insulte et qui a déjà châtié plus d'un insolent ! Allons, monsieur, 'il en est temps encore, faites-moi des excuses , des ex- cuses devant toutes les personnes qui nous en- tourent; et alors je me rappellerai que vous êtes poète... Tout ce que vous avez dit sera comme non avenu. Gustave le considérait, pâle et frissonnant, les poings fermés et convulsifs. — Vite , allons, monsieur! je n'ai pas le temps d'attendre!... Des excuses! — Des excuses? répond Gustave d'une voix sourde. Mais, c'est vous, misérable, vous, qui en devez, non pas à moi, je n'en exige point, AUX oeufs d'or. 321 mais à une femme!... à celle que vous avez of- fesnée, à celle que vous poursuivez lâchement, parce qu'elle n'a pas voulu subir vos insolen- ces de grand seigneur, parce qu'elle vous a chassé comme un valet l — Ah ! ah ! jeune homme , vous le voulez à toute force !... ce n'est pas ma faute! Probable- ment vous n'avez pas consulté Flora, la tendre cl belle Flora? Elle ne vous aurait pas laissé partir, elle vous aurait enchaîné dans ses bras d'albâtre!... Ah ! ah ! ah ! Et il se mit à rire avec amertume et rail- lerie. — Malheureux! malheureux! dit Gustave en s'élançant vers lui. Ce n'était donc pas assez d'outrages!.. Eh bien ! à mon tour main- tenant l Voilà comme je traite les gens de votre sorte! Et Gustave lui jeta violemment son gant au 322 LA POULE visage. Le marquis pousse un cri de fureur. Il se précipite sur Gustave. Mais soudain on les sépare, on empêche une lutte violente et acharnée. — Monsieur, monsieur, dit le marquis d'une voix étouffée, à demain ! — A demain, monsieur le marquis! — Je suis l'offensé j'ai le choix des ar- mes... A votre aise! je ne vous crains d'aucune manière — Forcil, dit le marquis de Pons, je compte sur vous, n'est-ce pas? — Oui, oui, mon cher, dit le baron en lui prenant la main. Mais de grâce, pas d'esclan- dre! Tout le monde s'assemble, on accourt! Une semblable rixe en plein foyer est indigne d'un gentilhomme!.. aux oeufs d'or. 323 Et la foule grossissait à chaque instant. De tous côtés on murmurait — C'est le marquis de Pons, — C'est Gus- tave Valory, le fameux poète. — Il s'agit de Flora, la cantatrice. — Il paraît que ces mes- sieurs sont rivaux? — Il y aura demain une rencontre. Une demi-heure après , on s'entretenait en- core de ce qui venait d'avoir lieu. Le marquis de Pons avait quitté l'Opéra avec ses amis , et Gustave cherchait un témoin pour le duel du lendemain. XXVI. LA MERE ET LA FILLE Le bruit de la querelle s'était bien vite répandu dans tout le théâtre ; déjà même on en parlait sur la scène et dans le foyer des acteurs. Flora, dont le fiasco avait réjoui ses rivales, ne tarda pas à apprendre ce qui s'é- t. i. 21 320 LA POULE la il passé. Quelques actrices, < jui étaient fu» rieuses de ses magnifiques débuts, éprouvè- rent un malin plaisir à lui faire entendre que Gustave Valory devait se battre le len- demain avec le marquis de Pons, ce duel- liste redoutable. Flora, à peine revenue de son évanouissement, faillit perdre de nouveau connaissance; elle pleurait abondamment, et, la poitrine brisée de sanglots , elle appelait Gustave; elle suppliait toutes les personnes qui l'entouraient d'aller chercher Gustave., de l'empêcher de se battre ! Enfin, quand elle eut repris quelque force, elle se laissa emmener par sa mère qui la re- conduisit chez elle. La nuit était déjà assez avancée. A peine rentrée dans son appartement, Flora , tout en larmes, se laisse tomber dans un fauteuil, et le nom de Gustave s'échappe de ses lèvres. aux oeufs d'or. 327 — Voyons, voyons, petite, dit madame Duvercourt $ avec un mélange de rudesse et d'affection , ne répète donc pas toujours la même chose Gustave! Gustave! Eh ben, après? cela t'avance jolimen t, lu sais bien qu'il ne peut t'entendre. — Oh I maman, que je suis malheureuse l s'écrie Flora en levant les mains au ciel. C'est encore pour moi , pour me défendre, que Gustave , mon ami , mon frère... Il va le tuer !... — Eh non! eh non, bécasse! dit madame Duvercourt en perdant patience. Est-ce que tu l'imagines que ton Gustave veut se laisser tordre le cou comme un poulet! Pardienne ! il a bien assez de moelle dans les os pour te- nir tête à ce grand efflanqué de marquis ! — Oh ! mais tu sais bien, maman , reprend Flora d'un accent de terreur ! ce pauvre G us- 328 LA POLI I tave, il n'a jamais tenu uneépée! C'est un jeune homme doux, simple, inoffensif... Je te le répète, un duel avec le marquis de Pons, c'est la mort pour Gustave!... El j'en serai cause ! , — Tu me ferais damner à la fin avec tes jérémiades ! Tu serais cause ! Eh ! eh ! tu n'es cause de rien ! Laisse aller les choses , laisse couler Peau sous le pont ! — Moi? moi? que je laisse Gustave se bat- tre ? Que je le laisse égorger ? — Eh ben ! et que veux-tu faire ? Ne veux- tu pas le mettre en cage, ce garçon? lui lier les pattes pour qu'il n'aille pas demain à son rendez-vous ? Vraiment, tais-toi ! tu me ferais bouillir, c'est trop bête à la lin ! — Oh! si du moins je pouvais le voir... oui, ne fût-ce qu'un instant! J'empêcherais ce duel horrible ! AUX OEIFS 1011. 329 — Tu n'empêcherais rien du tout, petite sotte! Tu connais bien les hommes, toi, si tu te figures qu'après s'être arraché les cheveux et flanqué des coups de poings, ils vont s'em- brasser comme de petits amours à cause de tes pleurnicheries ! Et puis d'ailleurs, je vou- drais bien voir ça, que ton grand diable de Gustave se mette à saigner du nez, lorsqu'il faut se battre! Ah ! ah ! ah ! si chose pareille arrivait, je ne lui conseillerais pas de revenir se frottera nous ! il trouverait visage de bois... Oui, je lui flanquerais la porte au nez! Je n'aime pas les lâches, moi , les carafes d'or- geat! — Oh ! mon Dieu ! mon Dieu, c'est effroya- ble ! murmurait Flora en se tordant les mains. Dire que je ne le verrai plus peut-être. . . — Eh! si, bêtasse! tu le reverras demain, fier comme Artaban, et dégourdi, je t'assure! 730 LA POI I I car, vois-tu, il n'y a rien de tel qu'une pe- tite escarmouche pour vous agaillardir un homme! ça lui donne du cœur au ventre ! VA morguienne! il en serait quitte pour deux ou trois égratignures, ça ne fait rien ! Je le pan- serai, moi; je lui mettrai 'des cataplasmes, et toute la boutique... ça me connaît, j'ai été garde-malade du temps de mon défunt. C'é- tait là un rude gaillard, un dur-à-cuire I il avait servi dans les voltigeurs de la garde j et de temps en temps, pour se refaire la main, il se travaillait encore les côtes à coup de bri- quet avec les camarades. Oh ! tiens , moi , je suis belliqueuse... tout comme mon défunt! Et ce qui m'étonne, c'est que toi qui es notre enfant, tu sois une poule mouillée! C'est pas comme ça qu'on se comporte ! Il faut être brave dans l'occasion; il faut être, quand on nous insulte, comme des tigresses, comme des lionnes, quoi ! Tout ce qui me chiffonne, moi, aux oeufs d'or. 331 vois-tu, c'est de n'être qu'une femme, c'est de n'avoir pas une bonne poigne de fer pour aller aplatir le museau de ce chien de mar- quis! Oh ! oh! comme je lui ferais payer cher toutes ses gaudrioles, toutes ses histoires!... Depuis un quart d'heure que madame Duvercourt parlait avec une étrange volubilité, Flora, muette et pensive, continuait à verser des larmes. — Ah! ça, bon ! voilà que tu geins et pleur- niches toujours! Je t'y engage , va ! tu seras gentille demain, avec tes yeux en compote !.. C'est beau, c'est beau, pour um3 actrice! Allons, calme-toi donc ! Tout se passera pour le mieux; tu verras que le marquis va rece- voir une seconde leçon... J'aimerais pourtant bien mieux avoir ici mon vicomte, il fustige- rait ce marquis d'importance. Mais o'est égal ! j'ai très bonne opinion de l'ami Gustave c'est 332 LA pou f un grand garçon solide; il a de bonnes épau- les et un bon poing... Ça ira ! ça ira ! D'ail- leurs, comme dit c't autre, Tinnocence est toujours récompensée. Flora , qui était bien loin de partager l'as- surance et le calme de sa mère, regardait le ciel en joignant les mains ; elle avait l'air de prier silencieusement. — Voyons, petite , ne restons pas là comme une souche ! dit madame Duvercourt en la prenant par le bras. Déshabillons-nous, et au lit ! Tapons de l'œil un bon somme nous rendra demain malin fraîche comme une rose. — Olii, maman, oui, je vais me reposer... dit Flora en embrassant sa mère j'en ai be- soin, je t'assure... Je suis brisée de fatigue! -— Eh bien ! ma petite , bonsoir, reprit madame Duvercourt d'une voix plus douce, aux oeufs d'or. 533 en l'embrassant avec affection. Tu ne m'en veux pas, j'espère ! Je le parle quelquefois un peu rudement... Mais , vois-tu , c'est pas ma faute, c'est l'habitude, je tiens cela de mon défunt. Et puis, ma parole d'honneur ! tu es souvent impatientante avec ta figure d'ange et ta voix douce , tu es un petit dé- mon , et tu ferais damner un saint avec ton entêtement! Allons , allons, bonsoir. Ne te couche pas sur le dos ni sur le côté gauche tfest très mauvais pour les jeunes personnes ! ça donne de vilains rêves et des palpitations de cœur. Après avoir débité cette espèce de sermon , madame Duvercourt alluma un bougeoir, et passa dans sa chambre à coucher. A peine Flora fut-elle seule, qu'elle ferma sa porte au verrou. — Oui, dit-elle avec résolution , en mar- 334 TA l'on 1 chant de long en lai*ge clans sa chambre d'un air agile, j'empêcherai ce duel ! Et, se promenant avec une expression IV'- brile, elle murmurait des paroles vagues et confuses. — Gustave !.. Oh ! le voir mort!., jamais! plutôt mourir cent fois!.. Un quart d'heure environ s'écoula. Toute la maison était plongée dans un profond si- lence. Les horloges sonnaient une heure ; et tous ces timbres, se répondant les uns aux autres dans réloignement,avaienl quelque cho- se de sinistre et de lugubre qui faisait tres- saillir Flora. Enfin, elle ouvre précipitamment une ar- moire, et s'enveloppe d'une pelisse; elle abais- se un voile noir sur son visage ; puis, mar- chant avec précaution, elle se dirige sur la aux oeufs d'or. 535 pointe lu pied vers la chambre de sa mère. Elle appuie son oreille contre la porte des ronflements sonores se faisaient entendre; madame Duvercourt était profondément en- dormie. Alors Flora ouvre sans bruit la porte de l'antichambre, et descend l'escalier tout doucement elle ose à peine respirer, elle a peur qu'on ne vienne s'opposer à son projet. Le concierge dormait depuis longtemps Flora passe une main par le carreau de la loge, et tire vivement le cordon. Quelques secondes après, elle était dans la rue sombre et déserte. XXVII, C'EST ELLE En sortant du théâtre, Gustave, après s'ê- tre assuré d'un témoin, était rentré chez lui. Il y avait déjà plus d'une heure qu'il s'aban- donnait aux plus tristes, aux plus désolantes réflexions ; non pas que Gustave redoutât ris- 35S LA POULE suc du duel qui devait avoir lieu le lendemain nous l'avons déjà dit, ce jeune homme était brave, héroïque; et, bien qu'il lut en général dans toutes les choses de la vie d'une extrême douceur, d'une patience extrême, Gustave était toujours prêt à faire le sacrifice de son existence dans les grandes occasions. D'ailleurs, son rôle n'était-il pas magnifique danscette circonstance ?I1 était l'appui, le ven- geur d'une femme aimée, d'une femme qu'on outrageait cruellement, qu'on voulait couvrir de fange et d'opprobre ! Mais il avait beau faire, Gustave ne pouvait chasser la tristesse qui s'amassait à larges flots dans son cœur. Seul, presque sans amis, sans parents, dans cette grande ville où personne, excepté Flora, ne l'aimait sincèrement pour lui-même, le malheureux jeune homme allait mourir peut- être sans avoir le bonheur,, la suprême conso- lation de voir, en expirant, les êtres qu'il ado- AUX oeufs d'or. 339 rait!.. Son pauvre père déjà vieux et infirme, et sa mère qui l'aimait avec une si profonde ten- dresse, sa mère qui n'aurait pas la force de vi- vre quand elle aurait vu se fermer la tombe d'un fils! — Oh I s'écriait Gustave en se frappant le front, si je pouvais au moins leur faire mes derniers adieux, les presser contre mon cœur, leur dire Bénissez-moi !... Mais non, je ne les verrai plus peut-être ! Je n'entendrai plus leur voix si douce et si tendre! et jusqu'au tom- beau, tous les deux, infortunés, ils pleureront leur fils unique, leur seul amour, leur der- nière espérance !... Mon Dieu ! mon Dieu ! Et, s'inter rompant tout à coup, il essuyait des larmes avec le revers de sa main. — Je ne suis pourtant pas un lâche! pen- sait-il. INon, je sens que moi aussi j'ai du cœur. Qu'est-ce que la mort?... Peut-être, atout 340 LA POUL1 prendre, serait-ce pour moi un bonheur de mourir maintenant?.. J'ai acquis des succès trop rapides , trop faciles Et toute cette foule qui m'enivrait de ses louanges, si elle allait un jour me charger d'opprobre et de railleries!... J'en ai vu tant d'exemples! C'est le sort des poètes... Oh! alors, alors, je mour- rais aussi, mais sombre et désespéré!... Gustave venait de se laisser tomber dans un fauteuil, et sa tête, lourde et brûlante, s'ap- puyait sur Tune de ses mains. Sa lampe de travail était posée sur un bu- reau encombré de livres et de manuscrits ; on y voyait Corneille et Tacite, Shakspeare , Dante , Virgile. Ces volumes étaient la plupart tout grands ouverts, ou les feuillets tournés contre la table c'étaient les auteurs favoris de Gustave, ceux qu'il lisait chaque jour au milieu de son travail, qu'il apprenait aux oeufs d'or. 341 involontairement par cœur à force de les réci- ter. Le silence régnait dans la chambre du poète; il conservait la même attitude de muette rêverie, et des soupirs s'élançaient par mo- ment de sa poitrine. C'est qu'un monologue douloureux et morne retentissait au fond de son cœur il pensait tour à tour à son père, à sa mère, à Flora... Si du moins il pouvait la voir une fois encore , elle , cette douce et chère Flora , celte bonne sœur qu'il aimait avec une adoration profonde ! ... Maïs non, elle ignorait tout, sans doute. Plongée dans un calme sommeil, elle ne pouvait deviner l'af- freuse et poignante insomnie de Gustave ! Et puis de temps à autre, Gustave, essayant d'oublier ses parents et Flora, jetait un regard mélancolique sur ses livres, sur ses poètes la- tins. Mais alors une foule d'autres pensées non t. i. 22 3i2 LA POUJLS moins amère8 lui torturaient le cœur cel ou- vrage commencé, ces poèmes qui devaient un jour l'envelopper de gloire, il fallait donc les laisser interrompus! douleur! supplice! le poète seul peut comprendre de pareilles souffrances ; le poète seul peut comprendre tout ce qu'il y a d'horrible dans la mort, lors- qu'elle vient l'arracher, plein de verve et d'ins- piration, à ses travaux, à sa gloire ! — Eh ! qu'importe, après tout ! s'écria Gus- tave en se levant avec énergie. Tout cela, c'est le néant, c'est un songe!... Avant d'être poète et artiste, il faut être homme! et maintenant je ne dois plus songer qu'à une chose... Le marquis de Pons m'a outragé, m'a torturé dans tout ce que j'avais de plus cher au mon- de... C'est du sang qu'il faut pour laver cette injure! Son sang ou le mien, n'importe!... Oh! oui, je ne dois pas hésiter!... c'est mon AUX oeufs d'or. 343 devoir!... C'est l'honneur de Flora qui de- mande vengeance!... Que ne suis-je à de- main ! Gustave se tait, il marche quelque temps sombre et pensif sa tête bouillonnait, les ar- tères battaient avec une force inouie dans ses tempes. Il ouvre vivement une croisée pour respirer l'air de la nuit. Les rues étaient dé- sertes, on entendait seulement au loin comme un roulis confus c'était le bruit des voitures attardées, et le murmure du vent qui se bri- sait aux angles des toits. — Oh! oui, reprend Gustave, avec une douloureuse exaltation.. Que ne suis-je à de main '...c'est trop souffrir... Ce n'est rien quç la mort... mais l'agonie !... Oh ! mon père! ma pauvre mère! je vous vois toujours... J'entends vos cris et vos sanglots... Il me sem- ble par moments sentir le froid de vos larmes [ 344 LA POULE lit Flora, je ne la verrai donc plus ! Oh ! cette; main ne pressera donc plus la sienne ! Si j'en- tendais encore une foisau moinç le timbrede sa voix enchanteresse !.. Un regard de ses yeux , un mot de sa bouche... et mon cœur bondirait de joie ! Comme je serais heureux et fier alors de saisir une épée,et d'offrir ma poitrine aux coups de mon adversaire !.. Je serais invul- nérable, je serais véritablement un homme!... Car il ne s'agit pas seulement de me battre, il ne s'agit pas seulement de mourir... il faut que je venge!.. Oh ! Flora ! Flora ! si tu pou- vais m'entendre! Une voiture s'arrête devant la maison ; on frappe violemment; et bientôt Gustave entend monter précipitamment l'escalier. On sonne, on frappe à sa porte. — A cette heure ! dit-il. Qui donc?... aux oeufs d'or. 345 Son cœur cesse de battre un instant; une sueur froide parcourt ses membres. Il ou- vre... — Ah ! c'est elle !.. Et Flora s'élance dans la chambre; elle laisse tomber sa pelisse, et se jette dans les bras de Gustave en le couvrant de baisers et de larmes. FIN DU PREMIER VOLUME. TABLE DES CHAPITRES DU PREMIER VOLUME. page». Chap. 1er. £, a chambre du poète. 7 — IL La mort de Socrate. 15 — III. A l'opéra. 37 — IV. Une mère d'actrice. 51 — V. Un fils de pair de France. 61 — VI. Derrière la scène. 79 — VII. Musique et poésie. SI — VIII. Le boulet. 90 — IX. L'amour et le travail. 113 — X. Un mariage manqué. 123 — XI. La bague de diamant. 131 — XII. Le marquis de Pons. 143 — XIII. Lequel des deux. 161 — XIV. Un clou chasse l'autre. 179 Chip. xv. Diplomatie. 189 — xvi. Un aplomb de marquis. c 203 — XVII. Deux mots à l'oreille. 213 — XVlil. Le troubadour. 227 — XIX. Un vengeur. 245 — XX. Lu plume et Cépée. 261 — XXI. Un parti superbe. 273 — XXII. Les diatribes. 285 — XX11I. A quoi tiennent les succès. 297 — XXIV. Fiasco. 305 — XXV. Le foyer de l'Opéra. 317 — XXVI. La mère et la fille 325 — XXVII. C'est elle! 337 FIN DE LA TABLE.
- Ало ςаሹօ
- Χиγ θтեшук σуδиፑ
- Πеնዳзሺпеսо օփաкች гօφуйቅጶωβθ էмοլኺ
- Իбፕዷሃኯቨչ ωፐиж еւуснաщи
Unecollection présentant les fables de Jean de La Fontaine dans leur intégralité avec de grandes illustrations pour aider à la compréhension de ces textes originaux, toujours d 'actualité. Un fermier découvre, stupéfait, que l' une de ses poules pond des
L'avarice perd tout en voulant tout gagner. Je ne veux, pour le témoigner, Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable, Pondait tous les jours un oeuf d'or. Il crut que dans son corps elle avait un trésor. Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable A celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien, S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien. Belle leçon pour les gens chiches Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus Qui du soir au matin sont pauvres devenus Pour vouloir trop tôt être riches ? Jean de La Fontaine Fables et Comptines pour Enfants
Pour La Poule aux OEufs d'Or, La Fontaine s’est inspiré de son modèle Ésope, comme souvent, pour le réécrire en vers. Cette fable-là est clairement un apologue qui a pour fonction de plaire et d'instruire avec son ton didactique. On pourrait dire que dans la fable, le récit est le corps et que la morale est l'âme, par la leçon qui s'en dégage. Le noyau est narratif, il montre un animal surnaturel qui pond de l'or et dont le propriétaire est si stupide qui croit s’enrichir encore en lui ouvrant les entrailles. C’est une mise en scène autour de la cupidité qui mène à la mise à mort de la volaille pour ne rien trouver. Dans ce texte concis et dense, la morale prend presque toute la place. Elle est énoncée dès le premier vers pour être ramenée par la dynamique du récit, fait entièrement au passé, dans les quatre derniers avec cette attaque “Belle leçon...” laquelle ridiculise les hommes détruits par leur convoitise, le désir violent d’en vouloir toujours plus. L’œuf d’or apparaît comme un double métaphore, l’or comme le désir qui contient tous les désirs et l’œuf comme la satisfaction qui tombe sans peine, quasiment du ciel. Quelle meilleure dénonciation de la cupidité que de la montrer capable de chercher aveuglement un avantage supplémentaire au delà de cette situation quasi parfaite. Tags FableDétails: Cahier de Poésie - 48 pages - Reliure brochée - Couverture pelliculée brillante Fable illustrée et imprimée sur la couverture - Un côté avec des grands carreaux pour l'écriture et l'autre côté uni pour le dessin. Dimensions : 17 x 22 cm Modèle : Les Fables De La Fontaine : La Poule Au La Poule aux œufs d'or La Fontaine La Poule aux œufs d'or illustration de Gustave Doré Auteur Jean de La Fontaine Pays France Genre Fable Éditeur Claude Barbin Lieu de parution Paris Date de parution 1668 Chronologie Les Médecins La Fontaine L'Âne portant des Reliques La Poule aux œufs d'or est la treizième fable du livre V de Jean de La Fontaine situé dans le premier recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1668. Cette condamnation de la cupidité et cette invitation à suivre la sagesse épicurienne en méprisant les richesses et en jouissant du présent se retrouvent dans d'autres fables de La Fontaine telles Le Berger et la Mer, Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre et L'Avare qui a perdu son trésor. Texte LA POULE AUX ŒUFS D'OR [Ésope[1]] L'avarice perd tout en voulant tout gagner. Je ne veux, pour le témoigner, Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable, Pondait tous les jours un œuf d'or. Il crut que dans son corps elle avait un trésor. Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable A celles dont les œufs ne lui rapportaient rien, S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien. Belle leçon pour les gens chiches Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus Qui du soir au matin sont pauvres devenus Pour vouloir trop tôt être riches ? — Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, La Poule aux œufs d’or Notes et références ↑ fr + grk Ésope trad. Émile Chambry, La Poule aux œufs d’or », sur 1927 Voir aussi Liens externes La Poule aux œufs d'or, Musée Jean-de-La-Fontaine à Château-Thierry. La Poule aux œufs d’or sur le site Les Grands classiques La Poule aux œufs d’or 78 tours numérisé , fable récitée par Louis Seigner sur le site de la Médiathèque musicale de Paris La Poule aux œufs d'or 78 tours numérisé, fable récitée par Pierre Asso sur le site de la Médiathèque Musicale de Paris Article connexe La Cane aux œufs d'or, nouvelle humoristique d'Isaac Asimov parue en 1956. La Poule aux œufs d'or La Fontaine Précédé par Suivi par Les Médecins La Fontaine Livre V des Fables de Jean de La Fontaine 1668 L'Âne portant des Reliques Dernière mise à jour du contenu le 08/03/2022. Détails: Cahier de Poésie - 48 pages - Reliure brochée - Couverture pelliculée brillante - Dimensions : 17 x 22 cm. Fable illustrée et imprimée sur la couverture - Un côté avec des grands carreaux pour l'écriture et l'autre côté uni pour le dessin. Modèle : Les Fables De La Fontaine : La Poule Aux Oeufs D'Or. Marque : Clairefontaine. La poule aux oeufs d’or KO KO MO Need Some Mo’ Zaz et sa tournée organique 2022 Léonore Chaix présente la femme à qui rien n’arrive Tagada Jones & Punish Yourself – Photos / Vidéos – Le Trianon 2021 Karimouche et ses Folies Berbères Interview de Ayron Jones Riff et Rock venus de Seattle Concert de Tagada Jones au Trianon le 17 et 18 décembre 2021 poupée Barbie Cahierde Poésie - 17 x 22 cm - La Poule Aux Oeufs D'Or pas cher : retrouvez tous les produits disponibles à l'achat sur notre site. En utilisant Rakuten, vous acceptez l'utilisation des cookies permettant de vous proposer des contenus personnalisés et Les expressions françaises décortiquées explications sur l'origine, signification, exemples, traductions on risque de tout perdre par avarice ; se priver de profits futurs importants pour satisfaire des intérêts immédiats ; l'avidité et l'impatience sont de vilains défauts ; n'agir que pour le court terme ; agir sans aucune vision à long terme ; détruire par avarice la source d'un profit important Origine et définition Cette expression du XVIIIe siècle est tirée d'une fable de La Fontaine, elle-même inspirée d'une morale d'Ésope, fabuliste grec de l'Antiquité. Compléments Pour ceux qui auraient oublié la courte fable en question, il y est question d'un avare dont une poule pondait des oeufs d'or. Croyant que cette poule contenait un trésor, l'avare l'a tuée pour se rendre compte, dépité, qu'elle était semblable à ses autres poules et qu'il venait de tuer bêtement ce qui pouvait l'enrichir sans fin. Exemples L'avidité humaine, tuer la poule aux œufs d'or. Nous allons tuer la poule aux œufs d'or. Elle a tué la poule aux oeufs d'or. Ils tuent la poule aux œufs d'or. En effet, il ne faut pas tuer la poule aux oeufs d'or qu'est le tourisme. Comment dit-on ailleurs ? Langue Expression équivalente Traduction littérale Allemand lieber den Spatz in der Hand als die Taube auf dem Dach mieux le piaf dans la main que la colombe sur le toit Anglais to kill the goose that lays the golden egg tuer l'oie qui pond des oeufs d'or Espagnol Argentine palmar casser sa pipe Espagnol Espagne matar la gallina a los huevos de oro tuer la poule aux oeufs d'or Espagnol Espagne pan para hoy, y hambre para mañana pain pour aujourd'hui, et faim pour demain Espagnol Maroc matar la gallina de los huevos de oro tuer la poule Hébreu ירה לעצמו ברגל yara leatsmo berèguèl il s’est tiré une balle dans la jambe Néerlandais beter één vogel in de hand, dan tien in de lucht mieux avoir un oiseau dans la main, que dix qui volent dans le ciel Polonais nie zabija się kury znoszącej złote jajka on ne tue pas la poule qui pond des oeufs d'or Roumain a da cioara din mana pentru cea de pe gard lâcher la corneille de sa main pour celle sur la clôture Roumain a isi fura singur caciula voler son propre chapeau Turc altin yumurtlayan tavu?u kesmek exactement la même Ajouter une traduction Si vous souhaitez savoir comment on dit tuer la poule aux oeufs d'or » en anglais, en espagnol, en portugais, en italien ou en allemand, cliquez ici. Ci-dessus vous trouverez des propositions de traduction soumises par notre communauté d'utilisateurs et non vérifiées par notre équipe. En étant enregistré, vous pourrez également en ajouter vous-même. En cas d'erreur, signalez-les nous dans le formulaire de contact. Variantes Tuer les poules aux yeux d'or